(B2) « Si l’on a réussi à lutter contre la piraterie, on ne l’a pas pour autant éliminée » insiste un rapport qui vient d’être soumis au Conseil de sécurité des Nations unies
Le cargo Petra du PAM escorté par la frégate italienne Federico Martinengo (crédit : Eunavfor Atalanta / Archives B2)
Cinq actes de piraterie importants
Durant les douze derniers mois – octobre 2017 à septembre 2018 – on compte pas moins de cinq actes importants de piraterie commis au large des côtes somaliennes (cf. encadré). « Le fait que ces tentatives se poursuivent montre que les causes profondes de la piraterie subsistent et que les réseaux de piraterie restent très actifs » souligne le rapport des experts onusiens. « À plusieurs reprises, des pirates ont été très près de parvenir à leurs fins. »
Des groupes d’action pirates prêts à l’action
Quatre groupes d’action de pirates se tiennent prêts à reprendre les attaques dès qu’ils en auront la possibilité. « Ces groupes continuent d’exploiter la moindre occasion, au vu de la facilité relative avec laquelle leurs agents peuvent se procurer des armes et des embarcations légères. »
2017, une reprise des actes de piraterie
L’année 2017 demeure une année de reprise, limitée, de la piraterie maritime. 54 actes de piraterie se sont produits dans l’océan Indien occidental en 2017, soit 100 % de plus qu’en 2016. Le nombre de gens de mer touchés par de tels actes ou par des vols à main armée commis en mer est passé de 545 en 2016 à 1 102 en 2017, selon le dernier rapport d’Oceans Beyond Piracy (1).
Une zone à risque qui s’élargit
Ainsi, en 2017, plusieurs tentatives d’attaques ont été menées à la saison des moussons, généralement calme. En 2018, la zone à haut risque s’est élargie. « Ce qui montre que les pirates sont capables de planifier des attaques dans tout l’océan Indien, aussi loin que nécessaire des côtes, et qu’ils sont déterminés à le faire pour assurer la réussite de leurs projets. »
Des pirates déterminés
Les récentes tentatives étaient « particulières en ce que les attaquants n’ont pas été dissuadés par un premier échec, mais ont récidivé peu de temps après, en restant dans les environs, signe de leur motivation et de leur détermination à atteindre leurs objectifs ».
D’autres ressources
Les réseaux de piraterie semblaient trouver les fonds dont ils avaient besoin en se livrant à des activités moins risquées, telles que le trafic d’êtres humains, de drogues, d’armes ou de charbon, souligne un rapport conjoint d’évaluation de la menace réalisé début septembre par l’opération EUNAVFOR Atalanta et les Forces maritimes combinées (CMF) de la coalition maritime emmenée par les Américains.
Le conflit au Yémen et les attaques en mer Rouge…
On peut noter aussi dans le couloir de transit maritime de la mer Rouge quatre tentatives d’attaques qui ne sont pas dues aux pirates somaliens, mais dont la responsabilité est attribuée à des rebelles houthistes, qui auraient lancé des roquettes longue portée sur des vaisseaux battant pavillon saoudien naviguant au large du Yémen (lire : Un navire attaqué au large du Yémen. Piraterie ou acte lié au conflit yéménite ?).
… autre menace pour le trafic maritime
« Ce qui pose une menace plus importante encore pour la stabilité de la région. Les navires de pêche et les yachts trop proches des côtes somaliennes ou yéménites risquent de se trouver pris dans les attaques conduites par les pirates somaliens ou les rebelles houthistes contre des navires marchands » souligne le rapport comme l’évaluation faite par les Européens. D’autres attaques, notamment celle d’un navire de l’Amisom, ont été attribuées aux Shebab (lire : Un navire de l’Amisom attaqué près du port de Baraawe).
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) « The state of maritime piracy 2017: assessing the economic and human cost », Oceans Beyond Piracy.
Parmi les dernières attaques
Le 16 octobre 2018, contre le MV KSL Sydney : Attaque pirate au large de Mogadiscio (V2)
Samedi 31 mars 2018, aux premières heures du matin, contre le Kriti Spirit, un navire appartenant à une compagnie grecque : Une attaque d’un autre pétrolier dans le Golfe d’Aden fin mars
Dans la nuit du 23 février 2018, contre le tanker MT Leopard Sun : Un chimiquier letton attaqué par les pirates au large de la Somalie
Les 17 et 18 novembre 2017 contre le MV Ever Dynamic, un porte-conteneurs opéré par Evergreen, puis contre le navire de pêche Galerna III, un thonier de la compagnie Albacora de Bermeo battant pavillon seychellois : Six pirates arrêtés dans le bassin somalien, entre Seychelles et Somalie (V6)
Le 15 novembre, contre deux porte-conteneurs dans le Golfe d’Aden : Une tentative d’attaque par des pirates échoue dans le Golfe d’Aden
(B2) Le drapeau français a, de nouveau, été hissé ce mercredi (14 novembre) dans le camp Butmir à Sarajevo qui abrite l’opération de stabilisation de l’Union européenne en Bosnie-Herzégovine (EUFOR Althea).
Le drapeau français hissé dans le camp butmir par les soldats autrichiens de l’opération (crédit : EUFOR Althea)
Une étape importante (Dorfer)
« Il s’agit d’une autre étape importante dans l’histoire de l’EUFOR après la prolongation du mandat de cette dernière par le Conseil de sécurité des Nations Unies, soulignant l’engagement continu de l’ONU et de l’UE en Bosnie-Herzégovine » a souligné le commandant de la force, le général (autrichien) Martin Dorfer. 19 pays participent désormais à cette opération, essentiellement des Autrichiens et Hongrois, Turcs (pays tiers) et Britanniques.
Une absence des Français depuis trois ans
Les soldats français étaient en effet absents du terrain bosniaque, depuis trois ans, après un engagement majeur durant des années en Bosnie-Herzégovine, que ce soit au sein de la FORPRONU, des opérations d’interposition de l’Alliance atlantique (IFOR) et de stabilisation (SFOR), mises en place après les accords de Dayton de 1995 ou de l’opération européenne qui leur a succédé en 2004. Paris estimait en effet que la situation était suffisamment stabilisée, et qu’une présence militaire ne se justifiait plus.
Un commandement d’opération tricolore
Cette présence encore symbolique s’accompagnera bientôt d’une reprise du commandement de l’opération : un général français relevant un général britannique (lire : Brexit oblige, le commandement de l’opération EUFOR Althea va passer à un Français). Un effet directement lié au départ du Royaume-Uni de l’Union européenne le 29 mars prochain. Le drapeau français hissé, le drapeau britannique pourrait ainsi être abaissé d’ici quelques mois… sauf accord précis de participation du Royaume-Uni, en tant que … pays tiers.
A noter que le commandement de cette opération européenne reste toujours placé dans le cadre des accords « Berlin Plus » liant l’Union européenne et l’OTAN, le chef d’opération se situant au sein du SHAPE. Elle signe un retour en force des Français dans les commandements d’opération européenne : en mars 2019 dans l’opération EUNAVFOR Atalanta, et à l’été 2019 en Centrafrique.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) Participaient à la cérémonie l’ambassadeur de France Guillaume Rousson, le chef de l’EUFOR, le major général Dorfer, le commandant de l’OTAN à Sarajevo, le brigadier général Marti J. Bissell, et l’attaché de police le brigadier Jean-François Caparos.
(B2) A force d’en parler, de l’armée européenne, il faudrait examiner ce que cela imposerait. Ne tentons pas de dire que cette idée est bonne ou mauvaise. Essayons de voir ce que cela supposerait. Imaginons un moment un consensus politique pour créer cette armée. Imaginons des moyens pragmatiques de la mettre en œuvre.
(crédit : marine portugaise)
En évoquant le projet d’une « vraie (ou véritable) armée européenne », le président français Emmanuel Macron sur Europe1 vendredi dernier (Face aux menaces, Macron propose une armée européenne. Un vieux ou un jeune phantasme ?) comme la Chancelière allemande Angela Merkel devant le Parlement européen mardi (Une armée (européenne) montrerait au monde qu’entre (nous) il n’y aurait plus de guerre)) ont réveillé un vieux projet. Aucun n’a été cependant plus précis dans ces discours. Tentons d’aller plus loin pour dessiner les contours de cette armée.
Ce que suppose une armée
Une armée suppose grosso modo un pouvoir (une structure politique assise sur une légitimité démocratique) et une base juridique, une organisation (un commandement politique et militaire) et une stratégie. Tout cela manque concrètement aujourd’hui au niveau européen. Et l’on part de zéro ou presque (1). Mais ce n’est pour autant inatteignable pour autant qu’on prenne en compte ce qui est possible et non ce qui est souhaitable, qu’on arrête de causer et qu’on commence à travailler.
Une armée pour remplacer ou compléter
Avant tout, il faut définir quel est l’objet et l’objectif de cette armée : est-elle défensive du territoire européen exclusivement ? Ou expéditionnaire, par la participation dans les opérations extérieures de l’ONU, de l’UE ou de l’OTAN, voire multilatérale ? Intervient-elle en complément des armées nationales ou la remplace-t-elle ? En première entrée ou en seconde entrée ?
Une armée avec une tâche assignée ou des tâches futures
Ensuite, si on veut que ce projet ait quelques chances d’aboutir, il faut tirer partie de l’expérience passée, ne pas projeter des tâches inatteignables. Si on fabrique une force ‘en attente’, on retrouve l’inconvénient de l’Eurocorps, de la brigade franco-allemande, des battlegroups de l’UE comme de la NRF de l’OTAN, de toutes ces unités présentes sur le papier dont on peine ensuite à trouver un débouché opérationnel car le consensus d’origine s’est évanoui.
L’organisation et le nombre de pays concernés
Il faut définir également le nombre de pays qui s’engageraient de façon délibérée dans un projet aussi structurant pour l’Europe, comme le format de cette armée : sa taille, son organisation (nombre de brigades, de divisions), ses composantes (terre, air, mer…), etc. Il faut préciser enfin l’organisation « coupole » de cette armée. Est-elle au sein de l’Union européenne, ou au sein de l’OTAN ou dans une structure à part, autonome ?
Essayons de répondre à quelques questions
Si on reprend les données du moment — celles succinctes indiquées par Emmanuel Macron, par Angela Merkel et d’autres dirigeants européens —, cette force devrait remplir des tâches les plus consensuelles, les plus acceptables. Il ne s’agit donc pas de lui affecter une tâche de maintien de la paix extérieure, qui est souvent trop liée à une histoire, une stratégie extérieure nationale, une organisation politique nationale (la consultation du Parlement par exemple à chaque opération). Mais on peut réfléchir à lui confier la défense du territoire européen ou la protection des Européens, en complément d’une force nationale.
Une force pour la défense du territoire européen …
Il s’agirait ainsi de marquer le coup, d’être présent sur le territoire, de rassurer les pays de l’Est de l’Europe, d’être capable de ne pas faire appel à tout bout champ aux Américains (2). Cette force pourrait avoir ainsi comme première tâche celle d’assurer la présence avancée à l’Est face à la Russie, voire de venir consolider les frontières dans Nord ou le Sud de l’Europe, à la demande d’un pays membre.
…et une cyber-armée européenne
Elle pourrait aussi assurer quelques fonctions comme la protection des Européens en cas de risque majeur (technologique, naturel ou humain), le soutien à des opérations humanitaires extérieures ou intérieures, ou l’évacuation des Européens résidant dans un pays étranger devenant à risque. Enfin, elle pourrait prendre comme champ d’action des domaines nouveaux comme la ‘cyber défense’.
Le couple franco-allemand en moteur
Une telle armée ne pourrait être faite que par l’alliance de deux ou trois grands pays. Le faire à 27 ou 28 pays revient à condamner immédiatement le projet. Si la logique militaire penche vers une alliance franco-britannique, cette armée achoppera rapidement sur la politique londonienne. La logique politique inclinerait vers une armée franco-allemande, complexe à mettre en œuvre, plus limitée dans son ambition, mais qui aurait une vertu : être plus solide et plus durable et être complémentaire à la Zone Euro.
Une taille limitée
Plutôt que définir de grands chiffres inatteignables (tels les 60.000 hommes fixés à Helsinki), une armée taillée à 5-6000 hommes, soit 7-8 bataillons (en gros une brigade), pourrait suffire dans un premier temps (en visant un niveau division 10.000 hommes dans un second temps). Cette taille peut paraître minime, mais elle parait suffisante au regard des différents engagements récents. La force d’intervention française au Sahel (Serval puis Barkhane), la présence avancée en Europe de l’Est ont cette taille. Cela pourrait être découpé en 4-5 unités terrestres, et 1 unité cyber, ainsi qu’une composante aérienne (unité de soutien transports et unité hélicoptères) et une composante marine. Un petit état-major central permanent d’environ 2-300 personnes peut être suffisant.
Organisée en briques nationales
Ce dispositif d’une armée ne nécessite pas de fusionner tous les corps jusqu’au plus petit niveau (section ou compagnie). Rien n’interdit d’avoir un fonctionnement national jusqu’au niveau du bataillon par exemple, et de n’avoir un fonctionnement multilatéral au-dessus pour le commandement.
Un système mi-permanent, mi-rotatif
De façon à être plus efficace, les bataillons fournis à cette armée européenne pourraient être organisés de façon mono-nationale, ou binationale (pour des pays habitués à travailler ensemble). Ils pourraient être mis à disposition de façon fixe ou, sous forme d’astreinte périodique, par rotation. Mais, pour être efficace, cette rotation ne devrait pas être tout azimut, elle devrait concerner les mêmes unités.
Une organisation autonome
Cette force ne serait pas sous la coupe d’une des structures existantes (OTAN, UE), mais pourrait remplir des tâches que celles-ci auront définies, ou acceptées (sur initiative de celle-ci). La structure de commandement, politique, devra rester séparée des deux structures de sécurité (OTAN et UE). Mais cette armée pourra répondre à des missions décidées par l’une ou l’autre de ces institutions. Si dans l’idéal, un état-major pourrait être localisé de manière autonome ou au sein de l’Union européenne. Mais d’un point de vue acceptable pour les Allemands (comme les Britanniques ou tout autre pays), il pourrait être localisé au sein du Shape de l’OTAN à Mons. Ce qui aurait l’avantage de préserver l’interopérabilité avec les effectifs otaniens.
Un budget autonome
Son budget sera une notion importante. Si on veut éviter l’échec ou les abîmes de discussions technocratiques sur les charges, il faut prévoir d’emblée un budget commun notable, permettant à la fois de financer la structure de commandement, le fonctionnement, les opérations, les déplacements intra-européens ou hors Europe, voire les primes de sujétion.
Un nouveau cadre juridique
Dans tous les cas, un nouveau traité sera nécessaire pour définir cet ensemble de règles (3). Un Traité qui devra être non seulement rédigé et signé, mais aussi ratifié par les parlements des différents pays concernés. Un point qu’il vaut mieux réfléchir sérieusement, pour éviter de se retrouver dans la situation de plusieurs traités européens (CED, Constitution européenne…) qui trop ambitieux ou ayant ‘dérivé’ par rapport à l’objectif acceptable, ont fini par être rejeter.
Des idées à travailler
Tout cela… ce ne sont que quelques idées jetées sur un papier. On peut imaginer d’autres solutions. Et il reste toute une série de questions à résoudre (notamment la chaîne de commandement). Elles illustrent à la fois la difficulté et l’ampleur de la tâche, mais aussi que ce projet est à portée de main. Il faut simplement en avoir la volonté politique, simultanée, et partagée et pas seulement l’envie de faire un bon mot, juste bon pour faire jaser dans les chaumières et glousser de rire tous ceux qui estiment que le projet européen est suranné.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(B2 – exclusif) Le dernier rapport de l’Union européenne sur les exportations des armes (qui n’est pas encore publié, mais obtenu par B2) pour l’année 2017 montre comme les années précédentes une position de leader de la France pour les exportations d’armes vers l’Arabie saoudite.
La France reste en tête
La France a ainsi octroyé 172 licences d’exportations pour un montant de 14,6 milliards et un montant réel de 1,38 milliard de réalisés. On constate comme les années précédentes (lire : Qui en Europe exporte des armes vers l’Arabie saoudite ? Paris est-il un partenaire privilégié de Ryad ?) un très fort différentiel, plutôt extraordinaire par sa constance, entre les exportations réalisées et celles autorisées (un ratio supérieur de 1 à 10 pour 2017).
Une domination très nette
Ce qui représente une nette majorité des exportations européennes : 30% des licences autorisées et 60% des exportations réelles. Les pays de l’Union européenne ont en effet octroyé 588 licences pour un montant de 17,3 milliards et exporté pour 2,27 milliards. On peut noter que trois pays n’ont pas renseigné le taux d’exportations réalisé en 2017 : Royaume-Uni, Allemagne, Belgique.
Royaume-Uni puis Bulgarie et Espagne suivent
En seconde position, le Royaume-Uni avec 144 licences pour un montant de 1,28 milliard (*). La Bulgarie arrive en troisième position avec 40 licences, pour un montant de 385 millions d’euros et 417 millions d’euros réalisés. Et l’Espagne avec 27 licences pour un montant de 496 millions d’euros et 270 millions d’euros réalisés se place en quatrième position.
Allemagne et Italie diminuent leur volant d’exportations, la Belgique remonte
L’Allemagne est en cinquième position avec 132 licences pour un montant de 254 millions (*) et on trouve la Belgique en sixième position avec 8 licences octroyées pour un montant de 152 millions d’euros (*) devant l’Italie avec 12 licences pour un montant de 52 millions (et 131 millions réalisés). On peut noter que si la Belgique a augmenté ces autorisations, l’Allemagne comme l’Italie ont nettement diminué par rapport à l’année précédente 2016.
Un groupe de pays de l’Est ferme la marche
Plus loin, on trouve un groupe de cinq pays de l’Est :
Les montants restent modestes par rapport aux pays de tête, mais sont relativement importants proportionnellement par rapport à l’économie de la défense de ces pays.
Quelques pays à exportation mineure
Mise à part la Finlande — avec 1 licence pour 1,5 million d’euros (5,3 millions exportés) —, les quatre autres pays européens mentionnés (Danemark, Hongrie, Portugal, Suède) ont octroyé ou réalisent des exportations pour des montants mineurs.
Six refus de licences
En 2017, 6 licences ont été refusées pour trois motifs essentiellement : risque de détournement de la technologie ou des équipements militaires dans le pays acheteur ou de réexportation ; préservation de la paix, de la sécurité et de la stabilité régionales ; matériel pouvant servir à des violations des droits de l’Homme et du droit international humanitaire.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(*) Il n’est pas possible de distinguer les pays qui n’ont pas renseigné ce chiffre des pays qui n’ont réalisé que 0 exportations en 2017 (en ayant autorisé des licences)
Lire aussi : Le Parlement veut réclamer un contrôle accru des exportations d’armes et un embargo vers l’Arabie Saoudite
(B2) En plusieurs années, diverses menaces, réelles ou ressenties, ont visé tour à tour plusieurs pays européens. Aucun pays ne se sent réellement plus à l’abri, visé au moins directement par un type de menace (primaire) et indirectement par une ou plusieurs autres. Cette pression conduit à des évolutions majeures des réflexions nationales en matière de défense européenne
(crédit : Bundesheer Autriche – Christian Debelak)
Premièrement, une pression extérieure majeure
En trois ans, l’Europe a été parcourue de trois crises successives, graves, d’origine extérieure, qui ne sont pas toutes résolues :
1° le conflit russo-ukrainien et les tensions à l’Est. Elles sonnent comme une résurgence tragique d’une période sombre de l’histoire européenne. Se sentent surtout concernés les pays baltes et pays de l’Est (Pologne, Tchèque/Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie)
2° la crise des migrants/réfugiés et les tensions aux frontières Sud Est et Sud. Un véritable traumatisme pour nombre de pays européens peu confrontés jusqu’ici à ce type de crises. Sont surtout concernés les pays du Sud (Italie, Grèce, Bulgarie), dits pays de première ligne (bleu foncé), mais aussi les pays des Balkans (Serbie, Croatie, Slovénie, Hongrie, Autriche, Allemagne) en deuxième ligne (bleu roi) ; et des pays plus au nord (pays d’accueil ou de non-accueil) : Danemark, Suède, Finlande, Pologne, Tchèq/Slovaquie en troisième ligne (bleu clair).
3° Une nouvelle vague de terrorisme qui frappe l’Ouest de l’Europe. Sont plutôt concernés les pays à l’ouest du continent — France puis Belgique, Royaume-Uni, Espagne, Allemagne — mais aussi, plus récemment au nord — Finlande, Suède —.
Les attentats successifs de Paris, Copenhague, de Sousse (Tunisie), Bamako (Mali), Istanbul (Turquie), Ouagadougou (Burkina Faso)… montrent que le terrorisme n’est pas un épiphénomène (lire dossier : N°32. L’Europe face à une nouvelle vague de terrorisme). Ils puisent à la fois à l’intérieur des sociétés et à l’extérieur. Après la tentation de l’autruche (Lire : Face au terrorisme, la réponse européenne trop lente), chacun des pays a bien perçu qu’il ne peut faire face et lutter tout seul face à ce phénomène. Quand une arme des Balkans est désactivée en Slovaquie, revendue en République Tchèque ou en Belgique pour devenir une arme à disposition de terroristes, passés par plusieurs pays européens, pour commettre leur crime à Paris, on voit bien que la problématique est européenne.
Deuxièmement : une ceinture d’instabilité en première et deuxième ligne
Deux conflits civils majeurs « frontaliers » se déroulent en bordure de l’Europe : le conflit syrien (irakien) qui concerne au premier chef Chypre et le conflit libyen qui concerne surtout l’Italie et Malte. Et, plus au large, trois zones d’instabilité africaines sonnent comme autant de menaces : la Corne de l’Afrique qui concerne plus directement l’Italie ; le Sahel qui préoccupent particulièrement la France et l’Espagne ; le Nigeria qui concerne le Royaume-Uni.
Cette conjonction d’évènements a un effet politique. Quelle que soit la crise, plus aucun État, aujourd’hui, ne se sent à l’abri… ni capable d’y faire face seul.
Le déclenchement en novembre 2015, après les attentats du Bataclan, par la France de l’article 42.7 (clause d’assistance mutuelle) n’a sans doute pas eu l’effet espéré de déclencher une vague d’engagements à court terme (Lire : La demande française de solidarité : un semi flop). Elle a, en revanche, incontestablement été un signal politique fort. Elle a signé la fin d’une certaine inconstance et obligé à une réflexion à moyen terme.
Troisièmement, tous les moyens de défense mobilisables
Face à une telle diversité de crises, sur différents horizons géographiques et thématiques, tous les vecteurs opérationnels sont cette fois nécessaires pour assurer une réponse :
Un ensemble de moyens qui n’est plus accessible aujourd’hui à un seul État. Seuls deux pays européens (France et Royaume-Uni) disposent de toute la palette opérationnelle, mais pas de façon intensive. Pour une mobilisation simultanée, importante, sur une durée qui dépasse 24 ou 48h, ils doivent recourir à l’assistance de leurs voisins.
Quatrièmement, des traumatismes politiques et des voisins instables
Ces crises seraient assez ‘gérables’ si les Européens ne devaient pas faire face à plusieurs traumatismes politiques, internes (cf. § suivant) et dans le voisinage, qui changent la donne stratégique. Plusieurs des alliés ou/et voisins de l’Europe considèrent désormais l’Union européenne (UE), non plus comme un ami, un allié ou un voisin ‘sympathique’, mais comme un adversaire ou un concurrent qu’il faut minorer, voire abattre.
1. la tendance autocratique russe. Pour le président russe Vladimir Poutine, l’Union européenne apparait plus dangereuse que l’OTAN avec son système démocratique et libéral, son dynamisme mou, ses accords d’association à visée économique mais aussi politique. Elle se révèle plus dangereuse au final, qu’un adversaire ‘dur’ type OTAN, le bon vieil ennemi très utile pour mobiliser au niveau national. Avec l’annexion de la Crimée en 2014 et les troubles dans le dombass ukrainien, il poursuit une politique d’établissement d’un no mans’land entre la Russie et l’Europe, ayant renoncé au projet d’une grande zone de sécurité européenne. Et les tentation d’ingérence dans les campagnes électorales nationales se font plus nombreuses.
2. le coup de clairon américain (2). L’arrivée au pouvoir en 2016 de Donald Trump sonne le glas d’une époque. Le nouveau président n’a pas la même considération pour l’Union européenne que ses prédécesseurs, et le montre très clairement. Sa tentation de casser tous les accords internationaux défendus par l’Europe (climat, nucléaire iranien, forces nucléaires à portée intermédiaire, statut de Jérusalem), de ne pas l’associer dans ses différentes discussions internationales (Syrie, Corée du Nord) tout comme son mépris latent pour les Européens prédomine.
3. le tournant turc. Le président turc Recep Tayip Erdogan, surtout après le coup d’état raté de 2016, considère que les relations avec l’Europe, et notamment l’adhésion à l’Union européenne, ne sont plus une priorité.
Autant de signaux supplémentaires incitant les Européens à, désormais, travailler un peu plus ensemble. Ils n’hésitent plus ainsi à faire voler en éclat les quelques principes qui sclérosaient jusqu’ici toute évolution.
Cinquièmement, des menaces d’implosion interne
A ce tableau, plutôt sombre, on peut ajouter quatre facteurs d’implosion interne.
1. Le décrochage britannique avec le Brexit est un traumatisme notable. C’est la première fois que la marche en avant d’une Union qui élargissait sans cesse son territoire s’interrompt et part dans l’autre sens. L’Europe perd un membre important de son Union (même s’il était parfois impertinent) et le Royaume-Uni perd de sa capacité d’influence.
2. La tentation conservatrice, nationaliste, de plusieurs États membres doit inquiéter. Les références à certaines valeurs ne sont plus évidentes aujourd’hui. Elles sont même discutées ouvertement. La solidarité européenne n’est plus naturelle aujourd’hui. Elle devient même exceptionnelle. Ce phénomène s’observe par trois éléments
3. L’extrême-droite progresse. Des mouvements néo-nazis se développent au grand jour, y compris en Allemagne pays qu’on croyait vacciné contre de tels agissements. On note ainsi :
4. La tentation séparatiste. Certains pays qui paraissaient « solides » voient en leur sein se développer une tentation séparatiste. Elle peut être qualifiée de tendance ‘douce’, très différente de celle qu’ils ont connu dans le passé, marquée par des mouvements à tendance paramilitaire comme l’IRA en Irlande ou l’ETA en Espagne. Elle apparait cependant bien réelle dans au moins trois pays : Belgique (Flandre), Espagne (Catalogne), Royaume-Uni (Ecosse).
Cette tentation séparatiste pourrait atteindre d’autres pays. Ce qui amènera inévitablement une interrogation sur l’organisation de l’Union européenne.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Une succession de crises qui oblige à changer les moyens
Les crises qui frappent l’Europe sont de nature différente mais elles interpellent, toutes, la notion même de pouvoir, d’autorité étatique : Zone Euro, frontières, sécurité et défense. On se trouve dans les fondements de l’Etat ‘puissance’ et non plus seulement de l’Etat ‘providence’ comme lors de la période 1980-1990, années ‘rêvées’ de l’Europe,
Ce n’est donc pas seulement une crise européenne, c’est une crise des États qui la composent, qui s’interrogent sur leur devenir et leur capacité d’action. S’il est difficile pour un seul État de faire face seul à toutes les crises, chacun rechigne bien souvent à faire les efforts nécessaires en commun. Ce qui explique le retard pris à prendre certaines mesures. Un retard qui agit comme une spirale infernale. Non seulement il aggrave et prolonge la crise existante (Zone Euro, Migrants, Sécurité), mais il contribue à fragiliser le pouvoir européen, et à entraîner la crise suivante, faisant d’une crise ‘technique’ une crise plus profonde et politique.
Il ne faudrait pas abuser des constats négatifs. Le tableau n’est pas complètement noir. Si on raisonne sur un temps plus long que lques années, après ces tergiversations, l’Europe a souvent réagi (ou est en train de réagir), transformant la réalité du projet politique européen, le complétant ou le consolidant, sans parfois changer un iota aux traités de base.
La Monnaie et le budget
Avec la crise en Grèce, la Zone Euro et la Commission européenne se sont dotées de moyens, de type fédéral, qui n’étaient pas prévus à l’origine. Des moyens de surveillance, contestés, car ils ne s’accompagnent de l’élément indispensable de l’exercice de la contrainte, une certaine légitimité démocratique. Certes, ce sont les gouvernements — et leurs parlements — qui ont consenti à ce glissement de souveraineté. Mais il manque une représentation européenne de cette légitimité, un parlement de la Zone Euro.
Les frontières
La crise des migrants et des réfugiés, qui devient une crise des frontières, va obliger les Européens à se doter d’un dispositif commun non seulement en matière d’asile (répartition des réfugiés sur tout le territoire européen) ou d’immigration, mais aussi de surveillance et de contrôle des frontières extérieures. C’est le sens de la proposition faite par la Commission européenne en décembre 2015 (Lire notre dossier : N°30. Garder les frontières de l’Europe. Vers un corps européen de garde-côtes et garde-frontières).
La défense
Les menaces aux portes de l’Europe devraient obliger à une réflexion identique en matière de défense. L’Europe en matière de défense paraît être encore un enfant qui suce son pouce et veut rester dans sa poussette alors qu’il devrait être adulte. Face à un danger, les Européens en sont toujours réduits à faire appel au gentil ‘tonton’ d’Amérique pour fournir hommes et matériels — drones, avions de transport stratégique ou moyens de reconnaissance, voire même… réparer une piste d’aéroport ! (Lire : Les Etats-Unis veulent quadrupler leur budget de présence en Europe. Faute d’Européens). Les moyens restent très éparpillés, sans réelle coordination politique. L’invocation de la clause de l’article 42.7 par la France était un signal politique. Les Européens feraient bien de s’en saisir et de mettre sur pied, d’ici quatre ou cinq ans, une vraie capacité de défense, et pas seulement quelques instruments (fonds de recherche, facilité européenne de paix, projets capacitaires).
(NGV)
NB : Ces éléments ont été développés lors d’un exposé à l’université de Grenoble en mars 2018, repris et complétés plus récemment
(B2) Le président américain Donald Trump n’a pas aimé la dernière proposition de Emmanuel Macron sur l’armée européenne. Et il l’a exprimé vertement, à son arrivée à Paris pour célébrer le centenaire de l’armistice du 11 novembre 1918. A-t-il tout à fait tort ?
Loin de la belle image de la célébration de l’anniversaire des US Marines, le président américain a renoncé à se déplacer dans l’Aisne pour rendre hommage aux soldats tombés à Bois Belleau en 1918 (crédit : Maison Blanche)
« Le président français (Emmanuel) Macron vient de suggérer que l’Europe construise sa propre armée afin de se protéger des États-Unis, de la Chine et de la Russie. C’est très insultant. Mais peut-être que l’Europe devrait tout d’abord payer sa part équitable à l’OTAN, que les USA subventionnent énormément. » indique Donald Trump dans un tweet publié vendredi (9 novembre) au soir (1)
Cette colère est-elle justifiée ou du moins explicable ?
On peut trouver le propos de Donald Trump relativement impoli à son arrivée à Paris. Mais il répond, brutalement, à une déclaration d’Emmanuel Macron faite quelques jours plus tôt au micro d’Europe 1, tout aussi abrupte (lire : Face aux menaces, Macron propose une armée européenne. Un vieux ou un jeune phantasme ?).
Même si l’Elysée s’en défend et cherche à déminer le terrain, quand on écoute attentivement l’intervention du président de la République qui déroule un fil tout seul, sans être interrompu par des questions, il y a réellement une certaine novation dans les relations USA-France qu’on n’avait pas vécue depuis Jacques Chirac et la crise irakienne en 2003.
Est-ce la mise sur le même pied que la Russie et la Chine qui irrite l’Américain…
En mettant au même plan « la Russie, la Chine, et même les États-Unis » comme les raisons de protéger l’Europe. Puis en développant la nécessité « face à la Russie », d’avoir « une armée européenne », d’avoir « une Europe qui se défend davantage seule, et sans dépendre seulement des États-Unis et de manière plus souveraine », Emmanuel Macron a non seulement fait franchir un pas à une doctrine française réticente à cette idée d’armée européenne. Il a également mis en cause le rôle d’allié fiable des Etats-Unis. C’est d’une certaine façon la réponse du berger à la bergère Trump qui rangeait l’Union européenne au rang d’adversaire. Mais un cran au-dessus (2).
… ou un petit désir d’émancipation des Européens
Le propos du président français révèle que l’Alliance atlantique (3) ne suffit pas à protéger les Européens. Amorcer une autonomie européenne plus grande, comporte en germe, une atteinte à ce qui, pour les États-Unis, est vital : sa suprématie. C’est aussi une petite entaille au principe de l’America First soutenu par le président américain. NB : Encore faut-il que ce projet d’armée européenne soit suffisamment sérieux et puisse être mené à terme, c’est une autre histoire (lire article à suivre).
Trump a-t-il raison quand il dit que les Européens ne paient pas assez à l’OTAN ?
Non. C’est faux. C’est une vieille rengaine de Trump qui confond, sciemment, la contribution au budget de l’OTAN et l’effort de défense de chaque État membre. Pour le budget (civil et militaire) de l’Alliance, la contribution ‘directe’ des USA est à peine supérieure à un cinquième (22%) du budget de l’Alliance, tandis que les Européens assument 2/3 du budget, le reste étant assumé par les pays hors UE. La seule contribution franco-allemande dépasse la contribution américaine, s’établissant à 25% du budget de l’alliance. Cette contribution est plutôt juste puisqu’elle fondée sur le produit intérieur brut de chaque pays.
Sur les budgets de défense, les USA sont en pointe cependant ?
Sur l’effort de défense, ce qu’on appelle la contribution ‘indirecte’ à l’Alliance atlantique, c’est une autre question. C’est un fait que le budget US de défense représente la nette majorité (2/3) de l’ensemble des dépenses des autres pays de l’Alliance (UE + Canada, Turquie, Norvège inclus). Sur ce point, Trump a raison, les Américains dépensent largement plus que les Européens.
Mais il faut pas oublier qu’une grande partie du budget américain de défense ne sert pas et n’est pas destinée à l’Europe. Il permet de remplir des tâches primordiales pour l’intérêt national US : d’une part, la place de premier plan, que les USA entendent assumer au plan mondial ; d’autre part, les fonctions classiques de sécurité intérieure (jusqu’au déploiement de militaires sur la frontière mexicaine par exemple). Enfin, il ne faut pas oublier le rôle moteur du budget militaire US en tant que facteur de croissance économique par ses commandes à l’industrie nationale, les USA achetant peu à l’étranger, contrairement aux Européens.
En fait, si on regarde cela d’un point de vue purement économique, la contribution américaine à l’OTAN (près de 500 millions d’euros par an) est un très bon investissement, puisqu’il est largement rentabilisé par les achats européens aux Américains.
Mais les Américains s’investissent en Europe ?
C’est un fait. Les Américains restent investis dans la sécurité européenne, d’une part car les Européens sont incapables de s’entendre entre eux pour avoir une force commune de défense ; d’autre part, car les Américains estiment que la sécurité du territoire européen est une partie de leur sécurité. D’où un effort supplémentaire, engagé sous le président Obama avec l’initiative de dissuasion européenne (European Deterrence Initiative) dépassant 4 milliards $ en 2017 pour renforcer la présence en Europe (Lire : Les Etats-Unis veulent quadrupler leur budget de présence en Europe. Faute d’Européens…). (3)
N’y-a-t-il pas un double langage américain ?
En effet. On est dans un double langage, assez classique outre Atlantique. D’un côté, les Américains ne cessent d’appeler, sur tous les tons, les Européens à être responsables, à dépenser davantage. Mais dès qu’il y a un quelconque projet de l’Europe dans ce sens, les mêmes s’efforcent de miner de l’intérieur le projet, de le rabrouer vertement de façon extérieur ou de hurler au protectionnisme. On avait vu les mêmes alarmes américaines se mettre en branle lorsque les Européens ont mis en place un Fonds pour la recherche et le développement industriel de défense (lire : Quand les Américains critiquent les Européens : Ignares ou roublards ?).
A part un bon mot, ce tweet a une vertu : noyer immédiatement toute velléité d’autonomie stratégique européenne, perçue à Washington comme un danger. Pour Donald Trump, un Européen est, en fait, juste bon à payer et acheter du matériel US, voire à contribuer à des opérations décidées par lui.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(mis à jour avec la note sur l’Afghanistan)