La réouverture totale des frontières extérieures de l’Union européenne n’est pas pour demain, alors que l’on circule à nouveau librement entre les vingt-sept Etats membres depuis le 15 juin (sauf avec le Danemark...). A partir du 1er juillet, les ressortissants de quinze Etats tiers pourront de nouveau se rendre sur le Vieux Continent. Il s’agit de l’Australie, du Canada, du Japon, de l’Algérie, de la Géorgie, de la Nouvelle-Zélande, du Maroc, du Monténégro, du Rwanda, de la Serbie, de la Corée du Sud, de la Thaïlande, de la Tunisie et de l’Uruguay. La Chine est aussi dans cette liste, mais sous condition de réciprocité, une condition qui ne s’applique pas, par exemple, à la Nouvelle-Zélande qui n’accepte toujours pas les voyageurs européens. Cette liste n’est qu’indicative, chaque Etat membre étant libre de ne pas l’appliquer, ce qui est déjà le cas de la Hongrie : aucun voyageur d’un pays tiers à l’Union ne sera pour l’instant accepté...
Critères
Les Etats membres ont négocié durant plusieurs semaines non pas des pays avec lesquels l’Union va rouvrir ses frontières, mais des «critères épidémiologiques les plus objectifs et les plus précis possible», selon une source diplomatique, qui détermineront ceux qui ont réussi à juguler la pandémie de coronavirus. Mais certains étant plus exigeants que d’autres, cela a pris plus de temps que prévu. C’est sur la base de ces critères que le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (CEPC) a établi une liste de pays les remplissant. «On la révisera régulièrement afin de l’adapter à la situation épidémiologique», précise un diplomate européen.
L’exercice a été difficile, car il a fallu réunir l’unanimité des Etats, le contrôle des frontières extérieures restant une compétence nationale. Déjà, la fermeture totale de l’espace européen n’avait pas été évidente à mettre en œuvre : début mars, alors que les Etats membres fermaient les uns après les autres leurs frontières intérieures pour «stopper» la pandémie, ils laissaient ouvertes leurs frontières extérieures contre toute logique. Il a fallu une réunion du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, le 17 mars,pour décider d’une fermeture de l’espace européen pour un mois à compter du 18 mars, une mesure régulièrement reconduite depuis. Il s’agit maintenant d’en sortir de façon ordonnée.
Réciprocité
Le New York Times a révélé mardi 23 juin l’existence de deux listes de pays en notant que les Etats-Unis n’y figuraient pas. En réalité, il ne s’agissait que d’un exercice mené par le CEPC à la demande des Vingt-Sept pour voir ce que donnerait l’application de tel ou tel critère. Mais il est vrai que les Etats-Unis n’en remplissent pour l’instant aucun, la pandémie n’y étant toujours pas maîtrisée. Son exclusion finale n’est donc pas une surprise.
Comme pour la Chine, les Vingt-Sept exigeront sans guère de doute la réciprocité lorsqu’ils rouvriront leurs frontières aux Américains : ils n’ont toujours pas digéré la fermeture unilatérale du territoire américain aux Européens annoncé le 12 mars par Donald Trump, qui avait alors pris soin d’exclure le Royaume-Uni avant de se raviser. Ses paroles accusatrices de l’époque n’ont pas été oubliées : «En prenant ces mesures drastiques et rapides, nous avons vu bien moins de contaminations par le virus aux Etats-Unis qu’en Europe. Mais l’Union européenne n’a pas pris les mêmes précautions […]. Par conséquent, un grand nombre de nouveaux foyers aux Etats-Unis sont dus à des voyageurs venus d’Europe.» Retour à l’envoyeur.
Photo Benoit Tessier. Reuters
Neuf policiers belges, en pleine affaire George Floyd, se sont illustrés en bousculant sans ménagement une députée européenne noire, âgée de 70 ans, qui a eu la mauvaise idée de vouloir filmer l’interpellation manifestement agitée de deux jeunes Noirs près de la gare du Nord, à Bruxelles, le 16 juin. L’élue écologiste allemande d’origine malienne, Pierrette Herzberger-Fofana, a raconté lors de la session plénière du Parlement du 17 juin comment quatre policiers lui ont arraché son téléphone puis l’ont «brutalement»plaquée contre un mur, les jambes écartées, les mains en l’air : «J’ai dit que j’étais députée au Parlement européen, mais ils ne m’ont pas crue. Alors qu’ils avaient en main le laissez-passer du Parlement et mon passeport allemand, ils m’ont demandé ma carte de résidence en Belgique.» Pour elle, aucun doute, elle a été victime d’un «acte discriminatoire à tendance raciste».
24 députés de couleur sur 705
Si le racisme reste à établir, l’abus de pouvoir est clair, comme il est clair que les policiers n’ont pas cru possible qu’une Allemande noire puisse être députée européenne : dès qu’elle a invoqué sa qualité, son immunité parlementaire aurait dû les conduire à cesser leur contrôle, abusif ou pas. Atterrés par ce récit, les députés européens l’ont longuement applaudi, y compris la présidente de la Commission, l’Allemande Ursula von der Leyen, venue justement annoncer qu’elle entendait «faire plus» pour lutter contre le racisme en Europe…
L’affaire est révélatrice d’un état de fait totalement occulté à Bruxelles : les institutions communautaires sont tellement aveuglément blanches qu’un député ou un eurocrate un tantinet basané est une réalité totalement improbable dans l’imaginaire policier… Selon Pierrette Herzeberger-Fofana, l’un des policiers belges a d’ailleurs insinué qu’elle était plutôt femme de ménage. De fait, si l’on veut rencontrer des minorités visibles, il faut regarder du côté du personnel d’entretien ou des agents de sécurité, généralement recrutés par des contractants extérieurs. Ainsi, au Parlement européen, on ne compte que 24 députés de couleur, issus de 12 pays (sur 705 membres). Et les députés non blancs ont tous été confrontés à des huissiers (blancs évidemment) leur refusant l’accès au Parlement (comme Magid Magid, élu britannique écologiste d’origine somalienne, l’a raconté en juillet 2019) ou de prendre la porte de service…
Responsabilité nationale
Du côté de la Commission, c’est encore pire : tous les commissaires sont blancs, tout comme les ambassadeurs des Etats membres. Au niveau des bureaucrates, même constat : la haute administration ne compte que des Blancs et dans les services, les minorités visibles (ou non, comme le montre l’absence totale de Roms, première minorité européenne) sont très rares. Difficile d’être plus précis, puisque les institutions ne font pas officiellement de statistiques ethniques. Pourtant, vu l’incroyable questionnaire détaillé sur leur vie que doivent remplir tous les nouveaux fonctionnaires, il serait extrêmement simple d’avoir au moins une estimation de la présence de minorités visibles. Mais le résultat serait tellement affligeant que personne ne souhaite se livrer à cet exercice.
Comment expliquer cette sous-représentation des minorités à Bruxelles ? Du côté politique, la réponse est simple : ce sont les gouvernements qui nomment les commissaires et les partis politiques nationaux qui composent les listes des candidats aux européennes. En clair, la responsabilité de l’exclusion des minorités se trouve dans les Etats membres et dans le personnel politique choisi, qui ne pratique guère de politique volontariste de recrutement : par exemple, il y a peu d’assistants parlementaires de couleur.
Des concours européens discriminatoires
Côté fonction publique, les filtres se trouvent aussi en amont de l’Union puisque, pour passer un concours européen, il faut un diplôme national. Or, les minorités visibles sont souvent exclues, à la fois pour des raisons culturelles et sociales, des formations les plus qualifiantes d’un point de vue européen. «Mais il y a aussi un problème de vocation : l’Europe attire un public particulier, tempère Didier Georgakakis, professeur de sciences politiques à Paris 1-Panthéon-Sorbonne et spécialiste des questions européennes (1). Par exemple, dans les masters dont je m’occupe, j’ai constaté que les minorités visibles étaient davantage attirées par les relations internationales classiques que par les carrières européennes.»
Reste que l’Union n’est pas exempte de reproches : depuis la réforme de 2004, les concours de recrutement ne reposent plus sur les connaissances, mais sur des tests psychométriques. Or, comme le rappelle Didier Georgakakis, ces tests ont été inventés dans les années 20 aux Etats-Unis par des wasp (white anglo-saxon protestants) «pour soutenir des théories eugéniques et raciales favorisant les hommes blancs anglo-saxons et scandinaves». Même s’ils ont depuis été «légitimés» par le secteur privé qui s’en sert pour recruter ses cadres, «les effets de discrimination – en termes de classe, de sexe et de race – posent à tout le moins question», estime Georgakakis. Autant dire que la diversité à Bruxelles n’est pas pour demain.
(1) Dernier ouvrage : Au service de l’Europe, Crises et transformations sociopolitiques de la fonction publique européenne.
Photo Francisco Seco. AP
Dans le cadre du plan de relance européen, la taxonomie européenne sur la finance verte doit permettre de faire le tri entre les investissements nécessaires à la transition énergétique et ceux qui ne le sont pas – y compris pour le gaz et le nucléaire, plaide Pascal Canfin.