Un rideau de fer s’abat sur l’Europe. Les uns après les autres, les États de l’Union soit ferment totalement leurs frontières aux personnes (Danemark, Estonie, Tchéquie, Slovaquie, ou Lituanie), soit partiellement (Allemagne, Autriche, Italie, Lettonie, Pologne, Slovénie), une liste qui évolue d’heure en heure… De même, les mesures sanitaires varient fortement d’un État à l’autre, tout comme les mesures de soutien à l’économie. Tout se passe comme si l’Union n’existait plus, chacun décidant dans son coin. Il aura fallu moins de 24 heures pour que la coordination souhaitée par les Vingt-sept, lors du sommet européen du 9 mars, ne soit plus qu’un souvenir. La pandémie de coronavirus va-t-elle avoir raison de la construction communautaire bien plus surement que les nationaux-populistes ?
Car ce retour du national met en péril l’ensemble de l’édifice européen, le grand marché sans frontières intérieures, sa pierre angulaire, au premier chef. C’est pourquoi Emmanuel Macron, le chef de l’État français, jeudi, a mis en garde contre « le repli nationaliste. Ce virus n’a pas de passeport (…) Nous aurons sans doute des mesures à prendre, mais il faut les prendre pour réduire les échanges entre les zones qui sont touchées et celles qui ne le sont pas. Ce ne sont pas forcément les frontières nationales. Il ne faut céder là à aucune facilité, aucune panique. Nous aurons sans doute des mesures de contrôle, des fermetures de frontières à prendre, mais il faudra les prendre quand elles seront pertinentes et il faudra les prendre en Européens, à l’échelle européenne, car c’est à cette échelle-là que nous avons construit nos libertés et nos protections ». Vendredi, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, a surenchéri : des contrôles aux frontières peuvent être mis en place, comme le prévoit le code frontières Schengen, mais de «manière proportionnée» et «être basés sur un avis scientifique et une évaluation des risques», ce qui n’est pas actuellement le cas.
Des appels qui n’ont pour l’instant pas été entendus : le chacun pour soi semble s’installer pour longtemps, la thématique trumpienne du virus « étranger » ayant fait des ravages. Or ce pandémonium européen (qui est le reflet de celui qui existe en Allemagne où chaque Land décide dans son coin) risque non seulement de rendre plus difficile la lutte contre la propagation du virus (pourquoi respecter la distance sociale ici si ailleurs on fait ce qu’on veut ?), mais d’en aggraver les conséquences économiques en interrompant totalement les flux de personnes, de marchandises et de services. Car il y aura un après pandémie qui risque de se chiffrer en millions de chômeurs, en entreprises faillies, en vies détruites. Les Etats ont déjà pris des mesures pour limiter la casse, mais là aussi sans coordination, ce qui risque de déstabiliser encore plus le marché intérieur : si l’Allemagne a les moyens d’aider ses entreprises, ce n’est pas le cas de l’Italie qui dès lors n’aura d’autre choix que de bloquer les marchandises allemandes pour ne pas aggraver la crise chez elle… Le détricotage de l’Union est enclenché et il n’est pas sûr que la démondialisation annoncée ne se traduise pas par une « déseuropéanisation ».
N.B.: article paru lundi sur le site