« L’axe franco-allemand n’existe plus. Emmanuel Macron est un révisionniste qui fait tout ce qu’il peut pour détruire la démocratie européenne ». Pis, le chef de l’État français n’est qu’un « germanophobe », bref un raciste. Cette charge toute en subtilité et en élégance, n’est pas signée d’un démagogue exalté, mais de Daniel Caspary, le patron de la délégation au Parlement européen de la CDU, le parti d’Angela Merkel. Ces insultes sont motivées par l’opposition de la France au système des « Spitzenkandidaten » et donc à la nomination du Bavarois de la CSU Manfred Weber, tête de liste du PPE (parti populaire européen, conservateur) à la présidence de la Commission.
Un dérapage isolé ? Que nenni : les autres partis allemands sont au diapason : « ce discours nationaliste transcende les clivages idéologiques et c’est très inquiétant », estime Franziska Brantner, député Grünen au Bundestag. Ainsi, le Vert allemand, Reinhard Bütikofer, a, dans un tweet, traité (sans le citer nommément) le Roumain Dacian Ciolos, président du groupe « Renouveler l’Europe » (RE), de « vassal » de Macron, un mot qui renvoie à la diplomatie européenne d’avant la Première Guerre mondiale, celle de l’équilibre des puissances. La presse germanique n’est pas en reste et alimente à coup d’éditoriaux ce discours contre la « Grande nation », comme l’on dit là-bas en référence à l’Empire napoléonien...
De fait, l’Allemagne semble avoir fait de la nomination d’un Allemand à la tête de l’exécutif communautaire une question d’honneur national, en totale contradiction avec l’esprit européen qui veut que, certes, l’on respecte les équilibres nationaux, mais que la question du drapeau ne soit pas la raison déterminante d’une nomination. « À quel jeu joue les Allemands ? », s’interroge le franco-allemand Daniel Cohn-Bendit, proche d’Emmanuel Macron et ancien président du groupe Vert du Parlement européen.
« Ce nationalisme allemand est nouveau », constate-t-il. Pour lui, c’est Angela Merkel qui en est responsable : « très affaiblie sur le plan intérieur, elle veut montrer qu’elle peut encore s’imposer sur le plan européen. Elle flatte donc le nationalisme allemand qui la sert ». Mais « cette baston franco-allemande complètement dingue », comme la qualifie Yannick Jadot, eurodéputé vert français, est aussi un signal que les partenaires de Berlin « ont ras-le-bol de l’omniprésence des Allemands dans les institutions ». En choisissant un candidat sous-dimensionné pour le poste de président de la Commission, Weber n’ayant été que chef du groupe politique du PPE au Parlement, la CDU-CSU de Merkel a permis à un ressentiment longtemps contenu de s’exprimer. « Les Allemands sont victimes d’un retournement des Européens qui en ont assez de cette Europe allemande », poursuit Jadot. Une analyse partagée par Stéphane Séjourné, le patron de la délégation de LREM au sein du groupe RE : « on sent qu’ils commencent à être très inquiets de la manière dont on les perçoit ».
Les attaques contre le chef de l’État français sont d’autant plus mal perçues qu’il n’est pas opposé à la nomination d’un Allemand à la tête de la Commission, en dépit de leur omniprésence à Bruxelles : pour lui, il l’a répété sur tous les tons, si le PPE présentait Peter Altmaier, le ministre de l’Économie, ou Ursula von der Leyen, la ministre de la Défense, il ne verrait aucun inconvénient à soutenir leur candidature. De même, son opposition au système des Spitzenkandidaten n’est pas une attaque contre la démocratie. En effet, comme toutes nos sources le confirment, il n’y a tout simplement aucune majorité au sein du Parlement en faveur de Weber. « Pour moi, il est mort », tranche Yannick Jadot.
La CDU cherche en réalité à imposer l’idée qu’il ne s’agit pas d’un scrutin proportionnel, mais d’un scrutin majoritaire à un tour à la britannique ou le parti arrivé en tête, même minoritaire, emporte tout. Ainsi, Weber a enjoint, le 23 juin, aux autres groupes politiques, de le soutenir : « j’espère que les eurodéputés socialistes et libéraux défendront la démocratie parlementaire européenne. S’ils décidaient de faire passer les intérêts de certaines capitales avant ceux d’un nouveau Parlement européen fort , ce serait tragique », a-t-il tweeté, au lendemain d’un sommet européen qui a constaté qu’il n’y avait aucune majorité en sa faveur parmi les chefs d’État et de gouvernement… « Que les États demandent donc au Parlement de réunir une majorité sur son nom et on verra », ironise Cohn-Bendit.
« Le système des Spitzenkandidaten, c’est juste un outil pour se répartir les postes et non un outil de démocratie », rappelle Jadot pour qui seules des listes transnationales qui permettraient aux têtes de liste d’être élus par l’ensemble des citoyens européens seraient véritablement démocratiques. Or, la CDU-CSU et donc le PPE n’en ont pas voulu en 2018. Aujourd’hui, Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK), la cheffe de la CDU et successeure désignée d’Angela Merkel, en est à promettre la création de ces listes à condition que Weber soit nommé président de la Commission. Un chantage pour le moins maladroit qui en dit long sur la crispation allemande. Cela laissera des traces durables chez les partenaires de Berlin.
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