Ma chronique sur la proposition de la Commission de faire adhérer la Macédoine du nord et l’Albanie.
L’affaire a été vite expédiée : mercredi matin, en deux tours de scrutin (à bulletins secrets), le Parlement européen élu le 26 mai s’est donné pour nouveau président, l’apparenté socialiste italien et ancien journaliste David Sassoli (Parti démocrate) qui succède à un autre Italien, le conservateur Antonio Tajani, lui aussi ancien journaliste. Il restera en place jusqu’en janvier 2022, date à laquelle il devrait être remplacé par un conservateur du PPE, sans doute l’Allemand Manfred Weber, candidat malheureux à la présidence de la Commission.
Ni les conservateurs du PPE ni les centristes de « Renouveler l’Europe » (RE) n’ont présenté de candidat contre le socialiste. Politiquement, cela signifie que les trois principales familles politiques du Parlement acceptent implicitement le paquet de nominations présentées mardi soir par le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement et en particulier les deux noms qui requièrent son vote conforme : Ursula von der Leyen (Allemagne, CDU) pour la présidence de la Commission et Josep Borrell (Espagne, PSOE) pour le ministère des Affaires étrangères européen. « Il n’y a eu aucun accord formel », confirme Stéphane Séjourné, patron de la délégation Renaissance, tout simplement par manque de temps. Les trois groupes ne se sont, en effet, toujours pas mis d’accord sur un programme commun minimum que la future Commission devra respecter, ce qui devrait être chose faite la semaine prochaine.
« Une fois que les socialistes ont annoncé le nom de leur candidat mardi soir, on l’a invité à se présenter mercredi à 8 heures devant le groupe RE », poursuit Stéphane Séjourné : « puis, le groupe a voté à l’unanimité le soutien à sa candidature, ce qui constitue une forme d’accord de notre part ». Le PPE, lui, n’a pas auditionné David Sassoli, se contentant de ne pas lui opposer de candidat.
Certes, il y a des mécontents, tant au sein du PPE que du groupe S&D (socialistes et démocrates), certains ne digérant pas que le système des Spitzenkandidaten - qui veut que la tête de la liste arrivée en tête obtienne la direction de l’exécutif européen- ait été enterré par les Vingt-huit, d’autres que leur tête de liste, Weber pour le PPE, le Néerlandais Frans Timmermans pour les socialistes, ne figure pas dans le paquet final. C’est du côté des eurodéputés allemands, tous groupes confondus, que cela tangue le plus et cela s’est vu dans le résultat du scrutin.
Ainsi, alors que le PPE (182 sièges), le S&D (154) et RE (108) ont un réservoir théorique de 444 voix sur 751, Sassoli n’en a recueilli que 325 au premier tour, loupant de 7 voix la majorité absolue. Soit une déperdition de 119 voix, ce qui est énorme. Au second tour, certains des récalcitrants sont rentrés dans le rang ce qui a permis l’élection de l’Italien avec 345 voix. Où se sont portées ces voix manquantes ? Sans doute, pour la droite, sur le candidat eurosceptique de l’ECR, le Tchèque Jan Zahradil qui a obtenu une seconde place avec 162 voix, alors que son groupe ne compte que 62 élus. Même si on ajoute les 73 sièges d’Identité et démocratie (réunissant notamment la Ligue italienne et le Rassemblement National), qui ne présentait pas de candidat, on n’arrive qu’à 135 voix. Autrement dit, 27 députés de droite ont voté pour Zahradil…
C’est à gauche que la déperdition a été la plus importante, la désignation de von der Leyen menaçant même de dégénérer en crise gouvernementale à Berlin. En effet, l’écologiste Ska Keller a obtenu 133 voix alors que son groupe ne compte que 74 députés, soit 59 de mieux… Ce qui signifie qu’un tiers du groupe socialiste ne soutient pas l’accord de Bruxelles. Parmi les récalcitrants, on peut sans doute compter les 16 Allemands, les 5 Français, les 3 Belges ou encore les 10 Britanniques.
Si le scénario se répète à l’identique, Ursula von der Leyen n’a pas donc trop de souci à se faire : elle dispose d’une majorité en sa faveur, majorité qu’elle va s’employer à consolider avant le 17 juillet, date du vote de confirmation par le Parlement. La ministre de la défense allemande s’est rendue dès mercredi après-midi à Strasbourg, où se déroule cette session constitutive, afin de rencontrer les groupes PPE et RE. Les blessures socialistes étant encore à vif, après l’élimination de leur tête de liste, Frans Timmermans, de la course à la présidence, elle a jugé plus prudent d’attendre quelques jours supplémentaires. Ces blessures expliquent aussi pourquoi les socialistes n’ont finalement pas désigné un député de l’Est pour concourir à la présidence comme le leur suggérait les chefs d’Etat et de gouvernement qui avaient été jusqu’à avancer le nom du Bulgare Serguei Stanishev, président du parti socialiste européen. En effet, la candidature de Timmermans, qui recueillait une majorité au Conseil européen, a été bloquée par les pays d’Europe de l’Est, notamment les quatre du groupe de Visegrad. C’est aussi pour cela que la candidature surprise de la Hongroise Klara Dobrev a été balayée en faveur de celle de l’Italien.
On imagine d’autant plus mal le Parlement rejeter la candidature de von der Leyen qu’il s’agit de la première femme jamais nommée à ce poste et qu’elle dispose de toutes les qualités pour occuper ce poste : dotée d’une expérience gouvernementale, parlant français et anglais, fédéraliste, de droite, mais sociale ce qui la rend compatible avec les centristes et les socialistes. Les combinazione politiciennes qui pourraient aboutir à un refus d’investiture affaiblirait davantage le Parlement que le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement. D’autant que les députés européens ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes si leurs têtes de listes n’ont pas été retenues, puisqu’ils leur ont enlevé toute légitimité en s’opposant, en 2018, aux listes transnationales proposée par Emmanuel Macron.
Au final, on peut noter que les postes de direction de l’Union sont entre les mains des sic membres fondateurs : une Allemande présidente de la Commission (pour la première fois depuis 1967) qui succède à un Luxembourgeois, un Belge, Charles Michel, président du Conseil européen (pour la seconde fois depuis 2009) qui succède à un Polonais, un Italien président du Parlement (avant un Allemand) qui succède à un Italien, une Française, Christine Lagarde à la Banque centrale européenne qui succède à un Italien. Et pour faire bonne mesure, un Espagnol (dont le pays a rejoint l’Union en 1986) ministre des Affaires étrangères qui succède à une Italienne.
Dessin: Vadot
Après plus d’un mois de compétition, les gagnants de «l’Euro top jobs contest» sont, dans l’ordre : présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, (Allemagne, CDU) ; vice-présidents de la Commission, Frans Timmermans (Pays-Bas, social-démocrate), Margrethe Vestager (Danemark, libérale) et Maros Sefcovic (Slovaquie, social-démocrate) ; ministre des Affaires étrangères, Josep Borrell (Espagne, socialiste) ; président du Conseil européen, Charles Michel (Belgique, libéral) ; présidente de la Banque centrale européenne : Christine Lagarde (France, LR). Enfin, la présidence du Parlement sera répartie entre les sociaux-démocrates (le patron du Parti socialiste européen, le Bulgare Sergueï Stanichev est candidat) et les conservateurs du PPE. Il aura fallu trois sommets de rang depuis les élections européennes du 26 mai pour en arriver là, le dernier ayant débuté dimanche soir pour s’achever mardi soir… Et rien n’est encore joué, puisque le Parlement européen devra confirmer le choix d’Ursula von der Leyen, ce qui n’est pas gagné. Une illustration de la complexité grandissante d’une Union à 28 de plus en plus éclatée idéologiquement et qui doit compter avec un Parlement soucieux de jouer son rôle démocratique.
Le casting final est remarquable à plusieurs égards : pour la première fois de l’histoire communautaire, la Commission et la Banque centrale européenne (BCE) seront dirigées par des femmes, cette dernière étant quasiment un club réservé aux hommes. Rien qu’en cela, c’est une vraie révolution. Mais pour atteindre la parité, il a fallu inclure la BCE dans le paquet final, alors qu’il n’en était pas question au départ. Il montre aussi un rééquilibrage en faveur des grands pays, surtout du couple franco-allemand, et confirme que l’Europe reste encore une affaire carolingienne : l’Est doit se contenter d’une vice-présidence de la Commission et d’une demi-présidence du Parlement (deux ans et demi). Enfin, l’UE sera (un peu) moins à droite : Ursula von der Leyen et Christine Lagarde sont de la droite sociale et «Macron-compatible» et les socialistes vont étroitement encadrer la présidente de la Commission.
Galon
Le président français, lui, peut rentrer heureux à Paris. Emmanuel Macron a mené une campagne victorieuse de bout en bout sans s’aliéner ses partenaires. Le système des Spitzenkandidaten (la tête de la liste arrivée en premier aux élections rafle la présidence de la Commission) dont il ne voulait plus, comme beaucoup de pays au demeurant, a été écarté : le Bavarois de la CSU Manfred Weber, tête de liste du PPE, longtemps soutenu par Angela Merkel, la chancelière allemande, peut espérer au mieux obtenir un demi-mandat au Parlement européen. Frans Timmermans, tête de liste socialiste, un temps pressenti à la présidence de la Commission car plus susceptible que Weber d’obtenir une majorité au Parlement, restera vice-président comme dans la Commission sortante et Margrethe Vestager, commissaire à la concurrence, gagne un galon supplémentaire. Et en proposant une Allemande, Emmanuel Macron a écarté le soupçon de germanophobie qui pesait sur lui…
Le système des têtes de liste n’est pas pour autant définitivement mort. Les partis européens ont reçu haut et clair le message envoyé par le président français : sans listes transnationales, pas de Spitzenkandidaten. Pour Macron, c’est seulement si les têtes de listes sont élues par l’ensemble des citoyens européens qu’ils auront la légitimité nécessaire pour s’imposer aux chefs d’Etat et de gouvernement. En attendant, hors de question de se soumettre aux desiderata des caciques des partis politiques européens. Cela étant, le PPE peut malgré tout être satisfait : il conserve la présidence de l’exécutif européen qu’il occupe depuis 1995 (sauf entre 1999 et 2004). C’est la reconnaissance que cette famille politique est arrivée en tête des européennes. En outre, la nomination de Christine Lagarde, ancienne ministre de Nicolas Sarkozy et actuelle directrice générale du Fonds monétaire international, peut être vue comme une autre victoire PPE.
Fibre sociale
Le sommet a failli tourner court lorsque le PPE a pris connaissance du deal concocté par Angela Merkel avec la complicité du social-démocrate Martin Schulz, ancien président du Parlement européen et candidat malheureux à la chancellerie : choisir la tête de liste socialiste pour sauver le système des Spitzenkandidaten. La découverte tardive de ce compromis, dimanche, accepté par Emmanuel Macron lors du G20 d’Osaka, a suscité la révolte des partenaires conservateurs de Merkel… D’où la proposition française de choisir la ministre de la Défense allemande, francophile et francophone et surtout Macron-compatible : fédéraliste, elle est favorable à une Europe de la défense et a montré une vraie fibre sociale lorsqu’elle a été ministre du Travail et de la Famille.
Les socialistes sont plutôt bien servis aussi, avec deux vice-présidences de la Commission, le poste de ministre des Affaires étrangères et une demi-présidence du Parlement européen. Les libéraux-centristes, eux, doivent se contenter de la présidence du Conseil européen, mais ils ont clairement marqué de leur empreinte ce casting.
Furieux
Reste à savoir s’il est acceptable par le Parlement européen. La réponse tombera dans la semaine du 15 juillet, les eurodéputés devant confirmer à ce moment le choix du Conseil européen, dans un vote à bulletin secret. Il est fort douteux qu’ils se lancent dans une guérilla avec les chefs d’Etat et de gouvernement, mais certains s’étranglent déjà : la CDU-CSU, composante principale du PPE, est furieuse que son poulain, Manfred Weber, ait été écarté sans ménagement. En outre, elle n’aime guère Ursula van der Leyen, qui n’a pas été une ministre de la Défense flamboyante.
Côté socialiste, on est excédé que Timmermans ait finalement été écarté : il a d’ailleurs fallu que le Conseil européen interrompe ses travaux durant une heure, le temps qu’Angela Merkel téléphone à ses partenaires sociaux-démocrates pour les calmer. Au final, le paquet de nominations a pu être adopté par consensus. Nul doute qu’il en ira de même au Parlement européen. Sinon, en cas de rejet, l’Union entrera en terre inconnue.