Dacian Ciolos, 50 ans, l’ancien Premier ministre de Roumanie (2016) et commissaire européen à l’Agriculture (2010-2014), préside «Renouveler l’Europe» (Renew Europe), le groupe du Parlement européen où siègent les députés français de «Renaissance», la liste soutenue par LREM. Troisième par ordre d’importance, avec 108 députés sur 751, derrière les conservateurs du PPE (182) et les sociaux-démocrates (154), c’est le groupe charnière puisqu’aucune majorité n’est possible sans lui.
L’intégrité de plusieurs commissaires désignés est gravement mise en cause…
Ce n’est hélas pas la présidente élue de la Commission qui nomme le collège des 26 commissaires, mais les gouvernements. L’Union n’est pas un Etat avec un Premier ministre qui choisit son équipe. C’est pour ça que l’étape parlementaire est essentielle. Comme nous devons accorder l’investiture à l’ensemble de la Commission fin octobre, le Parlement a pris l’initiative d’auditionner les commissaires pour vérifier leur intégrité, leur compétence, leur engagement européen… Certes, le Parlement ne peut pas tout faire, mais il peut beaucoup. Ainsi, sa commission juridique, qui a un rôle de vérification préliminaire pour s’assurer de l’absence de conflits d’intérêts des candidats et de la sincérité de leur déclaration de revenus, a recalé le conservateur hongrois Laszlo Trocsanyi et la socialiste roumaine Rovana Plumb… Ils ne seront même pas auditionnés par les commissions parlementaires compétentes.
D’autres commissaires sont sur la sellette, dont Sylvie Goulard, qui appartient à votre famille politique. Vous a-t-elle dit pourquoi elle avait perçu 13 000 euros par mois durant plusieurs années d’un think tank américain alors qu’elle était eurodéputée ?
Non, mais elle devra répondre aux questions que ne manqueront pas de lui poser les députés lors de son audition, et ils jugeront si ses explications sont convaincantes. Le travail des commissions ne peut se faire que dans certaines limites car nous n’avons pas de pouvoir d’investigation. Nous posons des questions et le commissaire désigné doit être convaincant.
Ne craignez-vous pas qu’une partie des eurodéputés soit tentés de se venger de Macron, à qui ils reprochent d’avoir tué le système des «Spitzenkandidaten» (candidats têtes de liste), en bloquant Goulard ?
J’ai entendu parler de cette tentation, surtout à l’extérieur du Parlement. Si un groupe politique se lançait dans un tel règlement de comptes, il risquerait de perdre en crédibilité
Cela n’a jamais retenu ni les conservateurs du PPE ni les socialistes dans le passé…
C’est peut-être pour cela qu’ils ont perdu la majorité qu’ils avaient à eux deux depuis quarante ans. S’ils sont tentés par un tel coup, ils ne doivent pas oublier qu’ils devront ensuite vivre avec nous pendant cinq ans. Or ils ont besoin de «Renew» pour atteindre la majorité et faire passer les textes législatifs.
N’y a-t-il pas un risque de grand marchandage entre les groupes, chacun prenant en otage un commissaire d’une autre famille politique, ce qui pourrait aboutir à valider toutes les candidatures ?
Si nous le faisions, nous perdrions notre crédibilité. Surtout, les groupes politiques ne peuvent se substituer aux commissions parlementaires compétentes. En cas de refus, la conférence des présidents de groupe politique peut demander une autre audition ou une seconde série de questions écrites. Si le candidat ne convainc toujours pas, la présidente devra soit demander à l’Etat d’envoyer quelqu’un d’autre, soit le changer de portefeuille.
L’intitulé du poste du commissaire grec Margarítis Schinás, «protection du mode de vie européen», a choqué car il comprend l’immigration et l’asile…
Ce qui me pose problème, c’est l’absence de compatibilité entre cet intitulé et la lettre de mission dont plus d’un tiers traite de l’immigration. Or cette question, que l’on doit se poser, ne se confond pas avec le mode de vie européen qui est beaucoup plus large. L’immigration n’a rien à faire là, à la différence de l’intégration, de la diversité, de la solidarité, de la culture, des langues, de l’éducation, de l’emploi ou du changement climatique. C’est un thème qui mérite d’être traité, mais pas comme cela.
Si Von der Leyen ne modifie rien, est-ce que cela amènera Renew à voter contre l’investiture de cette Commission ?
Il y a des membres dans le groupe à qui ce manque de clarté posera un problème.
N.B.: entretien paru dans Libération du lundi 30 septembre
Combien de commissaires désignés vont tomber au champ d’honneur parlementaire ? Alors que les auditions des 26 candidats par le Parlement européen débutent aujourd’hui pour s’achever le 8 octobre, la commission des affaires juridiques, chargée d’examiner en amont les déclarations d’intérêts des futurs commissaires, a déjà fait deux victimes jeudi dernier : elle a jugé que l’eurosceptique et ancien ministre de la Justice hongrois Laszlo Trocsanyl et la socialiste roumaine Rovana Plumb sont en situation de « conflit d’intérêts » et elle s’oppose à ce qu’ils passent en l’état à l’étape des auditions devant les commissions parlementaires compétentes. Mais d’autres commissaires sont sur la sellette au premier rang desquelles la Française Sylvie Goulard (LREM, Renouveler l’Europe) ou encore la Croate Dubravka Suica (Parti populaire européen, conservateur). Autant dire que d’autres têtes risquent de tomber, surtout si les différents groupes politiques décident de venger les leurs, ce qui pourrait compromettre l’investiture de la Commission présidée par la conservatrice allemande Ursula von der Leyen le 23 octobre à Strasbourg.
Jamais la situation n’a été aussi imprévisible, car, depuis les élections européennes de juin dernier, les deux grands groupes politiques qui dominaient le Parlement depuis 1979, les conservateurs du PPE et les socialistes, n’ont plus la majorité absolue à eux deux. Autrement dit, cela rend plus difficile une entente pour valider en bloc les candidats puisqu’il faudrait y inclure un troisième larron, en l’occurrence les centristes de « Renaissance » où siègent les députés LREM, indispensable force d’appoint. En clair, ce qui s’est passé en 2014 lorsque le PPE a pris en otage le socialiste Pierre Moscovici, qui n’avait pourtant rien à se reprocher en matière de conflit d’intérêts, pour obtenir la confirmation du très sulfureux conservateur espagnol Miguel Cañete, sera plus difficile, voire impossible à obtenir en 2019.
De plus, une réforme récente du règlement intérieur du Parlement prévoit que les commissions parlementaires doivent valider la candidature des commissaires par une majorité des deux tiers et non plus simple. Ce qui rend en réalité plus facile la constitution de minorité de blocage, puisqu’il suffit d’un tiers des voix plus une… Or la chute de Trocsanyl, dont le parti est toujours membre du PPE, et de Plumb pourrait pousser les conservateurs et les socialistes, secondés par les eurosceptiques et les europhobes trop contents de semer la zizanie, à se venger en refusant un commissaire RE. D’autant qu’il n’est pas exclu que d’autres membres du PPE et du groupe socialiste tombent, le Parlement ayant à cœur à réaffirmer sa prééminence politique après avoir vu le système des Spitzenkandidaten qu’il avait imposé en 2014 (la tête de la liste arrivée en tête des élections européennes devient automatiquement président de la Commission) enterré par le Conseil des chefs d’État et de gouvernement en juin dernier.
Si rétorsion il y a, elle visera au premier chef Sylvie Goulard, députée européenne libérale de 2009 à 2017, dont l’audition aura lieu mercredi après-midi. Elle est fragilisée par l’affaire des assistants parlementaires présumés fictifs du Modem et surtout par le salaire de 13.000 euros bruts qu’elle a perçu de fin 2013 à fin 2016, soit environ 350.000 euros, du think tank fondé par Nicholas Berggruen, un « financier vautour » selon le magazine Forbes. Certes, l’été dernier, elle a remboursé au Parlement 45.000 euros correspondant aux salaires versés à son assistant local durant 7 mois entre la fin 2013 et le début 2014 à un moment où elle reconnait qu’il ne travaillait plus pour elle, mais pour le Modem. Une affirmation que conteste le principal intéressé, Stéphane Thérou, aujourd’hui employé à la mairie de Pau dirigée par François Bayrou. Selon nos informations, il a même fourni à l’Olaf, l’Office antifraude de l’Union, des preuves de son travail pour Goulard. De là à penser qu’elle a voulu se débarrasser d’une affaire qui plombait sa candidature à la Commission, il n’y a qu’un pas. Quant à ses activités pour la fondation Berggruen, elle ne s’en est pour l’instant expliqué à personne : or beaucoup se demande si le financier américain ne s’est tout simplement pas offert le volumineux carn et d’adresses de celle qui était chargée au Parlement de la réglementation budgétaire et financière de l’Union.
Or, si Plumb est tombée pour une affaire pour le moins louche de prêt électoral et Trocsanyl pour ses liens avec son ancien cabinet d’avocats, on a du mal à voir comment Goulard pourrait passer entre les gouttes, tout comme la Croate qui a les plus grandes difficultés à expliquer d’où provient sa fortune de 5 millions d’euros…
Si plusieurs commissaires tombent, pourra-t-il y avoir un grand troc entre les groupes politiques ? Dacian Ciolos, le patron de RE l’exclut. Dans ce cas, Ursula von der Leyen n’aura d’autres choix que de demander aux États de lui envoyer de meilleurs candidat(e)s. Vu l’étroite majorité qu’elle a obtenu le 16 juillet lors de son élection, elle n’a aucune marge de manœuvre pour tenir tête aux députés.
N.B.: article paru lundi 30 septembre dans Libération
Photo: Pietro Naj-Oleari / Flickr Parlement europée