L’Europe des copains et des coquins, suite (1). Alors que les Etats membres sont déterminés à tailler dans les dépenses administratives de l’Union, les institutions communautaires sont mises en coupe réglée par une camarilla qui récompense ses obligés à coups de promotions truquées et de salaires plantureux. Ce clientélisme sévit partout et en particulier au sein de la Commission.
Sécuriser
Ainsi, l’exécutif présidé par Jean-Claude Juncker, a promu de nombreux hommes liges de l’Allemand Martin Selmayr, l’ancien chef de cabinet du Luxembourgeois devenu secrétaire général de la Commission avant d’être poussé vers la porte de sortie en juillet. C’est notamment le cas de l’Allemand Michael Hager, chef de cabinet du commissaire allemand sortant Gunther Oettinger. Cet AD12 (un grade de la fonction publique européenne) voulait sécuriser son grade d’AD14 lié à sa fonction.
Le 15 mai, un poste de directeur de grade AD14 à la direction générale Energie a été ouvert. Quelque 119 candidats se sont présentés, dont Hager. Et devinez qui l’a obtenu ? Le 30 octobre, Hager est donc officiellement nommé directeur par la commission Juncker, un poste qu’il n’occupe pas puisque le 2 décembre, Ursula von der Leyen l’impose au vice-président «exécutif», chargé des questions économiques et financières, le Letton Valdis Dombrovskis. Et bonne nouvelle, les chefs de cabinet des trois vice-présidents «exécutifs» ont obtenu le grade temporaire AD15 et non AD14 comme c’était le cas jusque-là, soit le même que celui du patron du cabinet de la présidente, l’Allemand Bjoern Seibert.
Normalement, pour sécuriser son grade d’AD14, Hager aurait dû faire un stage de neuf mois à la DG Energie, mais il en a été dispensé. Grâce à cette manœuvre, il a pu ainsi accélérer sa carrière : normalement passer d’AD12 à AD14 prend entre six et dix ans (avec un bond salarial mensuel de 12600 euros à 16200)… Il n’est pas le seul à avoir bénéficié de cette procédure pour le moins suspecte : «Si aucun Français n’est parmi les promus de Selmayr, on note que la moitié d’entre eux sont des Allemands de la CDU-CSU», souligne un eurocrate de haut niveau
Ascenseur
Ces promotions express ne sont pas une nouveauté. Selmayr, lui-même, est le maître en matière de contournement du statut de la fonction publique européenne. Entré en 2004 à la Commission au grade AD6, grade de base, il est promu, alors qu’il est le porte-parole de la commissaire luxembourgeoise Viviane Reding, au grade AD7 en 2007. Puis tous les deux ans, il grimpe d’un grade. Un exploit, car deux ans, c’est le minimum requis et il n’existe pas de précédent d’un tel parcours.
En 2014, alors qu’il est AD10, il s’offre un ascenseur express, comme celui dont a bénéficié Hager : un concours externe est ouvert pour un poste de conseiller principal (AD14) à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd), une fonction qui dépend du Finlandais Olli Rehn, commissaire chargé des questions économiques et monétaires. En tout, 91 candidats et Selmayr le réussit, bien sûr, ce qui lui permet de sauter quatre grades…
Au même moment, Viviane Reding nomme le chef de cabinet de Rehn, Timo Pesonen, directeur général adjoint à la communication, la matière faisant partie de son portefeuille… Selmayr, devenu chef de cabinet de Juncker, veillera à le promouvoir directeur général en juillet 2015. La ligne n’est pas rompue puisque la Commission Von der Leyen vient de le nommer patron de la nouvelle DG Espace et Défense qui dépend du Français Thierry Breton… «Les procédures de recrutement sont désormais tellement vérolées qu’il est impossible de faire carrière si on n’appartient pas à un clan», se désole un eurocrate qui a quitté la Commission.
(1) En 1971, Michel Poniatowski, proche de Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre des Finances, dénonce «la République des copains et des coquins», celle de «l’Etat UDR», après le scandale de la Garantie foncière.
Photo: commission européenne