L’Europe va-t-elle mieux gérer son déconfinement que son confinement ? Cela devrait être à sa portée après le chaos total engendré par l’extension de la pandémie du coronavirus, lorsque chaque Etat membre a réagi en solo, sans aucune concertation européenne, ce qui a abouti à de sévères frictions politiques entre eux sans pour autant stopper la propagation de la maladie. Pour ce faire, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, et Charles Michel, le président du Conseil européen, ont rendu public, mercredi, une «feuille de route», un document de 15 pages, commandé par les vingt-sept Etats lors de leur sommet du 26 mars, afin de coordonner la remise en activité des économies à l’arrêt depuis plus d’un mois.
Des «kits» d’autodiagnostic
Le but est d’éviter des mesures contradictoires qui pourraient relancer la pandémie, celle-ci «ne pouvant se combattre à l’intérieur des frontières», ou provoquer des ruptures des chaînes d’approvisionnement déjà mises à rude épreuve par les fermetures de frontières. Les deux présidents plaident donc pour que les Etats, qui restent pleinement souverains pour décider du rythme de la levée du confinement, se concertent a minima entre eux et informent la Commission avant toute prise de décision. Pour eux, trois critères devront être préalablement remplis : une décrue significative et durable du nombre de nouveaux cas, une capacité suffisante du système hospitalier pour traiter les malades, et, enfin, la mise en place de tests de détection menés à une large échelle combinés avec la possibilité de placer les malades en quarantaine.
Ils plaident aussi pour la création d’une application mobile européenne qui, sur une base volontaire et en respectant l’anonymat, permettrait de prévenir une personne qu’elle a été en contact avec un porteur du Covid-19, mais aussi de tracer les interactions entre les gens afin de prévenir l’apparition de nouveaux foyers. Pour faciliter ce travail de détections, ils proposent que des «kits» d’autodiagnostic soient mis à la disposition du public.
Un confinement prolongé pour les groupes à risques ?
Pour les deux présidents, la levée du confinement ne pourra qu’être graduelle, limitée dans un premier temps aux mesures qui n’ont qu’un impact local et surtout réversible en cas de regain de la pandémie, par exemple en instaurant un «cordon sanitaire». La réouverture des frontières intérieures devra se faire dès lors que les conditions épidémiologiques seront les mêmes dans les régions frontalières. Quant aux frontières extérieures de l’Union, la décision sera prise en fonction de l’évolution de la pandémie dans le monde… En attendant, la Commission va mettre en place un système d’alerte rapide pour parer à toute interruption des chaînes d’approvisionnement.
Jusqu’à la découverte d’un vaccin, la feuille de route plaide pour que les règles de distanciation physique et d’hygiène restent en vigueur pour les personnes, mais aussi dans les lieux publics et les transports. De même, elle recommande que l’utilisation des masques soit imposée dans tous les lieux publics fermés. La proposition la plus explosive est celle d’un déconfinement différencié : les groupes les plus vulnérables identifiés (personnes âgées, malades chroniques, malades mentaux) pourraient rester confinés plus longtemps si un Etat le décide.
Autant dire qu’il va falloir s’habituer à vivre avec le virus, comme le reconnaissent les deux présidents, jusqu’à ce qu’un vaccin et un traitement soient découverts. Pour accélérer les choses, la Commission va organiser, le 4 mai, en coordination avec l’Organisation mondiale de la santé, une « conférence des donateurs » afin de lever des fonds pour la recherche. « C’est notre meilleure chance collective de vaincre le virus », a expliqué Ursula von der Leyen.
L’affaire a fait du bruit dans le landerneau bruxellois : le président du Conseil européen de la recherche (CER), l’Italo-Américain Mauro Ferrari, en poste depuis le 1er janvier, a claqué la porte le 7 avril en accusant le conseil scientifique composé de 21 membres, le véritable organe décisionnaire de cette agence qui distribue chaque année entre 1 et 2 milliards d’euros à des équipes de recherche, d’avoir refusé de lancer un appel d’offres afin de découvrir un vaccin contre le coronavirus. «Je suis extrêmement déçu par la réponse européenne», a-t-il déclaré au Financial Timesqui a révélé l’affaire : «J’en ai vu assez […], j’ai perdu foi dans le système lui-même.»
L’Europe une nouvelle fois incompétente, l’histoire est presque trop belle, une aubaine pour la presse britannique toujours friande de ce genre de ratés communautaires. Et c’est bien le cas, car la réalité est infiniment plus triviale : Ferrari, un médecin spécialiste des nanotechnologies, a en réalité été viré par le conseil scientifique (qui a statué à l’unanimité) le 27 mars, avec le soutien de la commissaire à la Recherche, la Bulgare Mariya Gabriel.
«Au mieux économe de la vérité»
«Il s’est montré infâme avec le personnel et s’est mis à dos, par son attitude, toute la communauté scientifique. Pire : il est en conflits d’intérêts», car il a des liens avec des sociétés commerciales, en particulier avec une entreprise américaine de biotechnologies, Arrowhead Pharmaceuticals, détaille un membre du conseil scientifique. «Dès lors, il passait plus de temps aux Etats-Unis, où il enseigne en plus à l’université de Washington, qu’à Bruxelles. La Commission lui a offert un poste de conseiller spécial à la direction générale de la recherche, mais il a préféré partir sur un coup d’éclat.»
Dans un communiqué sanglant, publié le 8 avril, ce dernier a donc détaillé les raisons de son limogeage en accusant Ferrari d’être «au mieux économe de la vérité». «Le professeur Ferrari a fait preuve d’un manque total d’appréciation de la raison d’être du CER», qui attribue des bourses aux chercheurs présentant des projets. Autrement dit, il fonctionne selon une logique «bottom-up» (de la base au sommet) et non «top-down» (du sommet vers la base), ce qui signifie que le CER ne peut lancer d’appels à proposition «sur des sujets spécifiques, car l’un de ses principes directeurs est que nos chercheurs sont libres de poursuivre les objectifs qu’ils définissent et de décider sur quoi ils souhaitent travailler».
«Promouvoir ses propres idées»
En outre, il «a fait preuve d’un manque d’engagement envers le CER, ne participant à de nombreuses réunions importantes […] et ne défendant pas le programme et la mission du CER lorsqu’il représentait ce dernier», Ferrari cherchant surtout «à promouvoir ses propres idées». Enfin, sur le coronavirus, le conseil scientifique rappelle qu’il a financé plus de 50 projets de recherches fondamentales «qui contribuent à la réponse à la pandémie»actuelle, pour environ 100 millions d’euros. Une somme à laquelle il faut ajouter les programmes de recherches appliquées financés directement par la Commission (plus de 200 millions d’euros).
Reste une question : comment le conseil scientifique a-t-il pu se planter à ce point ? En réalité, parce que la nomination du président du CER, nommé pour cinq ans, lui échappe largement. En effet, c’est un comité de sept membres présidé par Mario Monti, ancien commissaire européen et ancien Premier ministre italien, qui sélectionne les candidatures et en retient trois. Le conseil scientifique fait ensuite son choix : «On a eu les dossiers le temps d’un dîner au restaurant et on a choisi Ferrari, car c’était le moins pire des trois», explique l’un de ses membres… En clair, le travail a été mal fait en amont. Beaucoup de bruit pour rien.
Photo: Photo Giselle Yeung. AP