La France a-t-elle renoncé à placer l’un de ses ressortissants à la tête de la Banque centrale européenne (BCE) en novembre 2019 pour succéder à Mario Draghi ? Ou est-elle en train de commettre une bourde faute d’avoir une vision d’ensemble du mercato européen ? Car de nombreux postes de direction vont être remis en jeu en 2019 et la partie d’échecs s’annonce particulièrement délicate.
Celle-ci a déjà commencé avec un poste technique important. En effet, le mandat de cinq de la Française Danièle Nouy, première présidente du Mécanisme de surveillance unique (MSU), l’institution chargée de superviser les banques européennes, arrive à échéance en décembre. Un appel à candidatures a donc été lancé par la BCE, son autorité de tutelle. Moins d’une dizaine de personnes se sont montrées intéressées et le Conseil des gouverneurs des banques centrales a établi une « short list » de trois noms qui sont pour l’instant gardés secrets. Selon mes informations, il s’agit de Robert Ophèle, président de l’Autorité française des marchés financiers (AMF) depuis août 2017 et en tant que tel membre du conseil des superviseurs de l’Autorité européenne des marchés financiers, de Sharon Donnery, gouverneure adjointe de la Banque centrale d’Irlande, et de l’Italien Andrea Enria, patron de l’Autorité bancaire européenne (qui va déménager de Londres à Paris).
Cette « short list » a été transmise à la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen qui en prendra connaissance ce lundi avant de procéder à des auditions à huis clos. Il reviendra ensuite au Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement de confirmer son choix. En théorie, la candidate la plus qualifiée est Sharon Donnery. Mais voilà, les pays du sud n’en veulent pas, car elle est aussi dure que Danièle Nouy sur « les prêts non performants », ces prêts bancaires accordés à des emprunteurs non solvables qui encombrent les bilans de leur banque et qui bloquent l’achèvement de l’Union bancaire. En effet, Berlin refuse toute garantie européenne des dépôts tant que les banques du « club med » n’auront pas été nettoyées… De leur côté, les Allemands ne veulent pas de l’Italien Andrea Enria par principe. Au final, le Français pourrait donc décrocher le pompon comme candidat du moindre mal.
En soi, c’est plutôt une bonne nouvelle, d’autant que son CV est irréprochable. Le problème est que cela risque de tuer une candidature française à la tête de la BCE, François Villeroy de Galhau, l’actuel gouverneur de la Banque de France, étant sur les rangs. Des Français dirigeant à la fois le MSU et la BCE, c’est inimaginable pour Berlin, même si cela ne la gêne pas que des Allemands ou des gens proches d’elles occupent tous les postes à responsabilité. Résultat, la nomination de Robert Ophèle pourrait dégager la voie à une candidature « nordique », le rêve pour l’Allemagne conservatrice, après le règne du « laxiste » Draghi… En l’occurrence, ce pourrait être Erkki Liikanen, gouverneur de la Banque centrale de Finlande jusqu’à cette année, ou Klaas Knot, actuel gouverneur de la Banque centrale des Pays-Bas. Manifestement, il y a eu une absence de coordination entre l’Élysée et Bercy, la candidature de Robert Ophèle ayant été poussée par Bruno Le Maire. Tant à Francfort qu’à Bruxelles, on s’inquiète de cet amateurisme français qui risque de propulser à la tête de la BCE un homme proche des thèses monétaristes allemandes, celles-là mêmes qui ont failli couler l’euro.
N.B.: article paru dans Libération du 1 er octobre