Viorica Dancila et Liviu Dragnea
Après la Pologne et la Hongrie, c’est au tour de la Roumanie de susciter l’inquiétude de l’Union. Le 3 octobre dernier, le Parlement a débattu, pour la seconde fois cette année, de la dérive autoritaire de ce pays, en présence de la Première ministre roumaine social-démocrate, Virica Dancila. « Ça monte doucement, mais sûrement, on voit enfin qu’il y a un sujet d’État de droit », confirme un diplomate européen. De fait, les autorités roumaines essayent d’en finir avec l’indépendance de la justice, un pilier central de l’État de droit, et sapent consciencieusement la lutte anti-corruption. Pour l’instant, il n’est pas encore question d’activer l’article 7 des traités européens qui peut aboutir à des sanctions s’il y a « un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs » européennes. Mais on s’en rapproche.
Jusqu’à présent, les deux principales forces politiques de l’Union, les conservateurs du PPE, d’un côté, les socialistes de l’autre, se tenaient par la barbichette, les premiers protégeant Viktor Orban, le Fidesz étant membre du PPE, les seconds couvrant le social-démocrate Liviu Dragnea, le vrai patron de la Roumanie, condamné pour corruption… Mais, en septembre, une partie du PPE, pour enlever une épine du pied de l’Allemand Manfred Weber, président du groupe PPE du Parlement et qui souhaite présider la prochaine Commission, a voté pour que la Hongrie soit poursuivie sur la base de l’article 7. Dès lors, le groupe socialiste n’a guère d’autre choix que de lâcher son protégé roumain…
Le problème est que plus de pays sont mis en cause, moins il y a de chance que la procédure de l’article 7 aboutisse. Tout simplement parce que pour « constater » l’existence d’un « risque clair d’une violation grave » des valeurs européennes, il faut une majorité des quatre-cinquième des États (soit une minorité de blocage de 6 pays) et pour décider de sanctions, l’unanimité (moins l’État mis en cause). Or, Varsovie, Bucarest et Budapest pourront sans doute compter sur le soutien de la Slovaquie, de la Tchéquie, d’un ou deux Baltes, de la Bulgarie, de l’Autriche et de l’Italie. En effet, tous ces pays comptent des démagogues autoritaires dans leur gouvernement et, même s’ils ne sont pas encore visés par une procédure, ils n’auront aucune envie de créer un précédent.
Reste que la dérive roumaine autoritaire est une nouvelle démonstration que l’Union est confrontée à une crise existentielle : alors qu’elle a été fondée sur les ruines du fascisme puis du communisme, partout en Europe on voit resurgir des parties qui revendiquent des valeurs en totale opposition avec les siennes. La Pologne vient ainsi de monter en gamme en posant son veto à un rapport européen, jusque là adopté sans problème par les Etats membre, mentionnant les risques pesant sur la communauté LGTB dans certains pays... « Ce ne sont pas des « démocraties illibérales, mais des régimes autoritaires qui remettent en cause la démocratie et les valeurs européennes », souligne le diplomate déjà cité, comme en témoignent les assassinats et intimidations visant les journalistes. Or, l’Union est fondée sur la confiance mutuelle : comment coopérer, notamment en matière policière et judiciaire ou de défense, avec des pays non démocratiques ? Ce n’est pas un hasard si la Cour européenne de justice vient de décider que le mandat d’arrêt européen ne serait plus automatique dès lors qu’il existe un doute sur le respect de l’État de droit par le pays émetteur. La Commission veut aller plus loin : elle propose que les aides régionales soient, à partir de 2021, conditionnées au respect des valeurs européennes. De fait, pourquoi permettre au PiS polonais ou à Orban de mener une politique sociale généreuse qui renforce leur pouvoir sur fonds européens ? Une réforme périlleuse qui porte en germe l’éclatement de l’Union.
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