L’Italie et son incapacité chronique à tenir ses comptes en ordre ont toujours été le cauchemar de ses partenaires européens. C’est à cause d’elle qu’ont été inventés les critères de convergence du traité de Maastricht, dont le fameux plafond des 3 % de déficit public, mais aussi le Pacte de stabilité, ce « carcan budgétaire ».
L’Italie dans l’euro malgré l’opposition franco-allemande
Petit retour dans le passé. La scène se passe à Paris, début avril 1991, en pleine négociation de Maastricht. En amont des réunions à Douze (la CEE de l’époque ne comptait que douze pays), Allemands et Français se rencontrent secrètement chaque mois pour harmoniser leurs positions. Au menu du jour : faut-il des critères de convergence économique et budgétaire ? La France n’est pas chaude à l’idée d’inscrire des objectifs chiffrés dans le traité. Mais les Allemands craignent que les pays du sud soient admis dans l’euro sur la base « d’une décision purement politique ». Pour eux, l’euro doit être limité à la zone mark et à la France, point final. Jean-Claude Trichet, alors directeur du Trésor et négociateur français, se laisse finalement convaincre quand les Allemands lui rappellent les chiffres italiens : un déficit de plus de 11 % du PIB en 1990 et une dette de 98 % du PIB.
Le futur président de la Banque centrale européenne (BCE) concède alors « qu’il faut venir à bout de l’abominable problème italien » et « qu’une procédure pour écarter ceux qui ne seraient pas capables » est nécessaire… C’est l’acte de naissance des critères de convergence destinés à se débarrasser de Rome. Le Pacte de stabilité, conclu en 1997, est un second obstacle dressé sur la route de l’Italie. Mais rien n’y fait : l’Italie réussit à se qualifier en 1999 en manipulant ses comptes à coup d’impôts remboursables. Trente ans après, la zone euro est toujours face à « l’abominable problème italien ».
2300 milliards de dettes
Certes, son déficit est redescendu à 1,7 % en 2018, mais sa dette est à 132 % du PIB, soit plus de 2300 milliards d’euros, le ratio le plus élevé de la zone euro, derrière celui de la Grèce, un État qui a fait faillite en 2010. En laissant filer son déficit, de 1,6 point par rapport aux promesses de l’ancien gouvernement - qui s’était engagé à le ramener à 0,8 % en 2019 et à le maintenir à ce niveau jusqu’en 2021- le Mouvement 5 étoiles et la Ligue, tout en restant sous le plafond des 3 % en théorie, réamorcent la pompe à endettement. Une dérive qui ne pourra que susciter la défiance des marchés et faire grimper les coûts de financement de sa dette avec pour conséquence de grever mécaniquement son budget. Déjà, l’écart de taux (spread) avec l’Allemagne a grimpé à 276 points, soit un taux à dix ans de 3,2 %. En clair, emprunter coûte presque trois plus chers aux Italiens qu’aux Allemands. Certes, en 2011, sous le gouvernement Berlusconi, les taux avaient frôlé les 7 %, mais sur une courte période. Si la défiance des marchés avait duré plus longtemps, Rome aurait été à genoux.
Le gouvernement romain a parfaitement conscience des risques encourus. Mais il parie sur le fait que, comme une banque systémique, l’Italie est « too big to fail » (trop importante pour faire faillite), ce qui contraindra la BCE et ses partenaires à intervenir. La coalition M5S-Ligue a déjà demandé à ce que Francfort efface une partie de la dette qu’elle détient dans ses coffres. En effet, dans le cadre du « quantitative easing » (QE) lancé en 2015, la BCE a acheté 356,4 milliards d’euros de bons du Trésor italiens, soit 15 % de sa dette. C’est d’ailleurs grâce à ce programme d’achat des dettes publiques des États de la zone euro (2000 milliards d’euros) que les taux d’intérêt restent très bas. Mais ce QE va s’achever à la fin de l’année, ce qui aura des conséquences importantes sur le niveau des taux italiens, même s’il n’est pas question que la BCE remette la dette qu’elle détient sur le marché : elle sera simplement renouvelée et restera dans les coffres de la BCE.
Le piège des marchés
À défaut d’une annulation, Rome espère que Francfort sera contrainte d’intervenir si son financement devient insoutenable, en clair qu’elle lance un QE rien que pour elle. Une hypothèse qu’on écarte à Francfort. Si l’Italie a besoin d’aide, il faudra qu’elle en passe par un programme d’ajustement exactement comme l’ont fait la Grèce, le Portugal, l’Irlande et Chypre. Personne, tant à Francfort qu’à Bruxelles, n’espère en arriver là.
La Commission et la BCE vont essayer de convaincre Rome de revenir dans les clous pour éviter une sanction du marché. Chacun a conscience de manier un baril de nitroglycérine tant le gouvernement italien est imprévisible et manifestement peu au fait des questions économiques et financières.
Comme l’Italie n’a pas dépassé le plafond des 3 % de déficit, la Commission va faire jouer le mécanisme préventif du Pacte de stabilité en demandant, d’ici fin novembre, que le projet de budget soit amendé. Mais il sera difficile d’aller plus loin, alors qu’aucun pays, même pas la France qui pendant 9 ans a dépassé les 3 % de déficit, n’a jamais été sanctionné. D’autant que les démagogues italiens ne manqueraient pas de tirer profit d’une crise avec les institutions communautaires, puisqu’ils accusent déjà l’Europe de ne pas respecter le suffrage universel. Au fond, comme cela a toujours été le cas, ce sont les marchés qui siffleront ou pas un pénalty, les institutions communautaires étant politiquement trop faibles pour s’y risquer.
N.B.: article paru dans Libération du 29 septembre