(B2) Les deux ministres des Affaires étrangères, allemand Heiko Maas et français Jean-Yves Le Drian viennent de signer conjointement une tribune publiée originalement dans le Süddeutsche Zeitung à l’occasion de la conférence de Munich sur la sécurité
Heiko Maas et Jean-Yves Le Drian, à Paris le 16 octobre 2018 (crédit : MAE France)
Une des crises les plus graves depuis 1945
Le système multilatéral tel qu’il a été conçu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale traverse ce qui est sans doute l’une des crises les plus graves de son existence. L’idée qu’un système international fondé sur des règles est le meilleur garant de notre sécurité et de notre prospérité n’est plus évidente pour tous. La confiance dans la coopération internationale, la recherche de solutions communes, des institutions solides et efficaces, tout cela s’érode aujourd’hui et menace de nous ramener à un « monde d’hier ». Cette année encore, lors de la 55ème Conférence de Munich sur la sécurité, la situation critique dans laquelle se trouve le multilatéralisme dominera les discussions.
Des pressions massives en cours
L’ordre international est soumis à des pressions massives. Certains acteurs misent de manière accrue sur la politique de puissance, minent l’idée d’un ordre fondé sur des règles pour pouvoir faire jouer la loi du plus fort à leur profit. Dans le même temps, dans de nombreuses sociétés, y compris du monde occidental, des critiques se font jour quant à l’apparente inefficacité de la coopération internationale. De plus en plus de voix s’élèvent selon lesquelles il conviendrait de rejeter la coopération multilatérale au motif qu’elle serait trop coûteuse et de faire comme si les problèmes mondiaux tels que le changement climatique, les migrations et la cybersécurité pouvaient être traités à l’intérieur des frontières nationales. La concurrence entre grandes puissances et la montée des nationalismes entraînent un éclatement accru de l’ordre mondial sur les plans politique, économique et sociétal.
Allemagne et France pionnières
Afin de contrer cette tendance, les États partageant les mêmes vues doivent entreprendre des actions communes et renforcer leur engagement en faveur du multilatéralisme. La France et l’Allemagne entendent être pionnières en la matière. De concert avec nos partenaires européens, nous misons sur la coopération multilatérale et sur un ordre mondial fondé sur des règles. Nous sommes convaincus qu’un engagement renouvelé en faveur du multilatéralisme, une alliance pour le multilatéralisme, est plus que jamais nécessaire pour stabiliser l’ordre mondial fondé sur des règles, en préserver les principes et l’adapter à de nouveaux défis si nécessaire. C’est pourquoi nous voulons, avec des partenaires du monde entier, constituer un réseau d’acteurs partageant les mêmes vues et guidés par le même souci de concilier leurs intérêts nationaux et la défense des biens communs de l’humanité.
Protéger les normes jusqu’aux accords de contrôle de armements
Nous devons protéger les normes, accords et institutions internationaux lorsqu’ils sont soumis à des pressions, que leur existence ou leur financement est menacé. Sont notamment concernés le droit international, ainsi que les droits de l’Homme et le droit humanitaire international, qui subissent chaque jour des violations dans le monde entier, exacerbant les conflits à l’intérieur des États et entre États. Cela implique que nous nous engagions en faveur d’un commerce libre et équitable et que nous mettions tout en œuvre pour préserver les avancées diplomatiques significatives telles que l’accord sur le nucléaire iranien, les accords sur la lutte contre le changement climatique ou les régimes de contrôle des armements.
Une réponse multilatérale aux cyberattaques
Nous devons également faire preuve d’un engagement et d’une détermination accrus là où une régulation politique est nécessaire et où les défis nouveaux exigent une réponse commune. Cela vaut en particulier pour les crises régionales et les nouveaux mécanismes de coopération en matière de sécurité. À l’ère du numérique, nous nous engageons pour une régulation appropriée qui concilie respect de la vie privée, préoccupations liées à la sécurité et défense des libertés individuelles. Et nous entendons formuler des réponses multilatérales efficaces aux cyberattaques et aux manipulations malveillantes de l’information.
Un multilatéralisme plus représentatif et plus efficace
Sans aucun doute, le système multilatéral actuel n’est pas parfait. Il n’est pas toujours en mesure de trouver les réponses adaptées aux innombrables défis à relever. Ceux qui, comme nous, défendent le multilatéralisme doivent également veiller à ce que celui-ci soit plus efficace, plus représentatif et plus réactif. L’ordre politique et économique mondial doit devenir plus inclusif et plus efficace afin d’apporter aux citoyennes et citoyens du monde entier des résultats plus tangibles.
Constituer un réseau d’États engagés
Les défis sont gigantesques. Il n’y a pas une solution unique. Au contraire, il importe de constituer des réseaux flexibles d’États engagés qui, grâce à une géométrie variable et à la diversité des participants, produiront le maximum d’effets. Des coalitions d’États partageant les mêmes vues devraient se former en fonction des thématiques afin d’obtenir des résultats politiques concrets. La participation à ce réseau pour le multilatéralisme n’est pas exclusive mais elle vise à contribuer de façon engagée et durable aux objectifs de l’Alliance pour le multilatéralisme.
Le rôle pivot du franco-allemand
La France et l’Allemagne sont prêtes, de concert avec d’autres partenaires partageant leurs vues, à jouer le rôle de moteur et de pivot pour ce réseau. Au cours des deux prochaines années, Paris et Berlin utiliseront la présence de l’Allemagne au Conseil de sécurité comme membre élu en 2019 et 2020 comme une occasion de travailler ensemble au renforcement du multilatéralisme, en particulier à l’occasion de nos présidences successives du Conseil de sécurité des Nations Unies à New York en mars et avril prochains.
L’ADN de l’Union européenne
À cet égard, nos partenaires européens et les institutions européennes jouent un rôle clé. L’Union européenne est une pièce maîtresse du système multilatéral. Le compromis et la recherche du juste équilibre entre positions diverses sont inscrits au plus profond de son ADN. Nous, Européens, sommes donc un partenaire fiable pour ceux qui entendent préserver un ordre fondé sur des règles et qui sont disposés pour cela à endosser davantage de responsabilité. Nous constatons partout dans le monde une forte volonté d’œuvrer en ce sens. Il est grand temps de resserrer nos liens et de bâtir un réseau solide et engagé permettant de préserver la diplomatie multilatérale des fausses promesses d’une action purement nationale, ainsi que d’une politique de puissance débridée.
Qui le fera, sinon nous ? Et quand, si ce n’est maintenant ?
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traduction officielle – intertitres de la rédaction
(B2 à Strasbourg) À quelques semaines des élections européennes, certains eurodéputés ont commencé leurs adieux. C’est le cas de l’eurodéputé Alain Lamassoure, qui a tenu mardi (12 février), après le vote de son « dernier rapport (1) après 27 ans passés au Parlement », à délivrer un petit mot à ses collègues réunis en plénière.
Séance de votes, session plénière du 12 février 2019 © Parlement européen
A l’ouest du rideau de fer
« En 1989, je suis entré ici dans ce qui était un forum politique limité à une partie de l’Europe, à l’ouest du rideau de fer. Le Parlement que je vais quitter est un vrai Parlement vraiment européen ayant une capacité législative. (…) Grâce vous, chers collègues, j’ai appris que l’écoute, le dialogue, le respect mutuel, la recherche du compromis, l’obsession de l’intérêt commun étaient bien plus efficaces que l’affrontement systématique qui caractérise trop souvent nos débats nationaux. Beaucoup de nos Parlements nationaux ainsi qu’un prestigieux capitole auraient un certain nombre de leçons à prendre ici » a indiqué l’eurodéputé du sud-ouest (2). Une ovation debout (standing ovation) des députés l’a salué… A juste titre !
(Emmanuelle Stroesser)
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(B2) A l’heure où le casse-tête du Brexit résonne dans toutes les têtes, s’intéresser aux possibles têtes de l’Europe demain, parait illusoire. « Il est beaucoup trop tôt » m’ont ainsi confié plusieurs acteurs, diplomates et observateurs patentés de la scène européenne, que j’interrogeais…
Donald Tusk au Conseil européen comme Jean-Claude Juncker à la Commission européenne vont quitter la scène européenne. Qui pour les remplacer ? (crédit : Conseil de l’UE)
Et, pourtant… tout le monde y pense ! D’ici juin ou juillet 2019, au plus tard, il faudra en effet avoir choisi un président de la Commission européenne. Ce qui va enclencher en cascade le choix des autres têtes européennes, à commencer par son alter ego, le président du Conseil européen, le ou les présidents du Parlement européen, ainsi que le Haut représentant de l’UE pour la politique étrangère (1).
A la Commission européenne
Le prétendant officiel est Manfred Weber, candidat du parti populaire européen, il revendique, si son parti arrive en tête lors des élections européennes (comme cela semble être toujours le cas dans les sondages), de présider la Commission européenne. Un destin logique qui se heurte à trois problématiques : certains membres du Conseil européen ne semblent pas décidés à promouvoir ce système des SpitzenKandidat, l’homme qui a certaines qualités ne correspond pas aux critères non écrits à ce poste ; il est le représentant d’un parti, ce qui peut entraîner certains clivages au moment du vote au Parlement européen (lire : Que cache la candidature de Manfred Weber à la Commission ?). Son destin naturel le conduirait donc plutôt à briguer la présidence du Parlement européen.
Le challenger possible est le Français Michel Barnier qui a pour lui de nombreux avantages, un profil bien connu des chefs d’Etat et de gouvernement, comme du Parlement européen, des amitiés et des réseaux qui vont au-delà de sa chapelle politique, un vrai profil européen comme on les aime à Bruxelles (lire : Michel Barnier à la présidence de la Commission européenne ?). Encore faut-il que Emmanuel Macron, seul décideur en son âme et conscience en matière de poste à la Commission européenne le veuille. Si la France ‘veut le poste’, « il sera difficile de lui refuser » indique un fin observateur consulté par B2.
La candidature de Margrethe Vestager, un temps évoquée (surtout par quelques éléments de La république en marche), semble peu réaliste… aujourd’hui. La Danoise n’a pas vraiment le soutien de son gouvernement, premier critère pour ce poste. Elle a les handicaps de son pays, qui ne participe pas à toutes les politiques européennes. Enfin, elle n’appartient pas au parti majoritaire (PPE) au plan européen, puisqu’elle émarge au parti social-libéral danois (RV). Rideau… Lire : La fin du rêve Vestager à la tête de la Commission 2019 ?
La présidence du Conseil européen
Au Conseil européen, c’est le nom de Mark Rutte, qui revient régulièrement comme une antienne. Le Premier ministre néerlandais (Libéral) pourrait reprendre le rôle d’intercesseur et de modérateur des chefs d’Etat et de gouvernement. Encore faut-il qu’il veuille quitter son poste national… et que les autres chefs d’État et de gouvernement le veuillent. Le rôle de père fouettard des Pays-Bas que ce soit dans la crise monétaire sur le rôle de l’Euro ‘fort’ ou vis-à-vis des pays d’Europe de l’Est, en indélicatesse avec certains chapitres de l’Etat de droit, et son positionnement pour le moins adepte du moindre engagement européen, pourrait l’exposer à quelques vetos ‘clairs’ ou discrets, l’empêchant toute candidature. Chances : 1 sur 4.
Un challenger possible est la Lituanienne Dalia Grybauskaite (-). Adepte du franc parler, bonne connaisseuse de certains dossiers européens — elle a géré le portefeuille de l’Agriculture —, elle a quelques avantages : être une femme, représenter l’Europe de l’Est, et ne pas être encartée dans un parti politique. Même si elle n’est pas très éloignée des chrétiens-démocrates, elle a souvent dû gouverner en cohabitation avec un gouvernement formé de sociaux-démocrates, paysans et verts. Quoi de plus éclectique. De plus, elle est disponible, car son mandat de président (non renouvelable) se termine en mai. D’une certaine façon, elle incarnerait une certaine continuité avec Donald Tusk. Adepte du franc-parler, elle a toujours le mot juste quand elle arrive dans les réunions du Conseil européen. Ce qui l’assure d’une certaine célébrité dans la presse. Encore faut-il qu’elle veuille. Aux dernières nouvelles, l’intéressée a dénié être candidate. Mais ce genre de déni cède rapidement. Score : 2 sur 4.
Autre candidat possible, le Finlandais Juha Sipilä du parti du centre (Kesk / ALDE) pourrait se retrouver rapidement disponible si son parti subit une défaite aux législatives. Il a l’avantage de venir d’un pays ‘modeste’, situé aux confins de la Russie, donc bien averti des risques et des menaces de la nouvelle configuration à Moscou, d’être membre de l’Euro et d’avoir joué un rôle non négligeable et positif dans la crise migratoire. Il est bien vu à Paris comme à Berlin, ce qui n’est pas un désavantage. Il est discret, mais très présent dans les jeux européens. Score : 2 sur 4.
Enfin, le Belge Charles Michel (Libéral / ALDE) pointe le bout de son nez dans la sphère européenne, en ‘roue de secours’ d’une possible non reconduction à la tête du gouvernement belge après les élections générales de mai prochaine. L’article du quotidien Le Soir le mentionne expressément. Même si le Premier ministre belge n’a pas jusqu’à présent montré d’appétence spécifique pour les dossiers européens, il s’y montre plus intéressé que son prédécesseur Elio di Rupo. Si on peut avoir du mal à y croire, il faut toujours se méfier des Belges quand leurs yeux frétillent. Ils n’ont pas leur pareil pour arriver à leurs fins (cf. le précédent de Herman Van Rompuy). Score : 1 sur 4.
Le poste de chef de la diplomatie européenne
Comme haut représentant de l’UE, c’est l’inconnue totale. Les potentiels candidats pour succéder à Federica Mogherini au poste de Haut représentant le 1er novembre prochain ne se bousculent plus vraiment au ‘portillon’. Pour plusieurs ‘grands’ pays (France, Italie, Pays-Bas…), le poste n’a pas vraiment d’intérêt, car le Haut représentant est trop occupé par les affaires étrangères, et peu disponible sur les sujets ‘économiques’ ou de politique intérieure, compétences primaires de la Commission européenne. B2 a fait le tour des candidats potentiels ou éventuels, dans un papier soupesant les avantages et handicaps de chacun (lire : Commission 2019. Les candidats au poste de Haut représentant ne se bousculent pas. Six noms possibles et éventuels ?).
L’actuelle ministre allemande Ursula von der Leyen (CDU/PPE) a fait son temps à la tête de la Défense allemande. Et celle qui a été, un temps, perçue comme une possible rivale de Angela Merkel n’a plus d’espoir de ce côté-là. Un nouvel avenir européen lui permettrait de rebondir sur un terrain, les affaires européennes, où elle est à l’aise et a obtenu certains résultats. Le Slovaque Miroslav Lajcak (S&D) ne dédaignerait pas non plus revenir dans la sphère européenne après son mandat à la présidence de l’OSCE. Mais le champ d’action plus limité de la diplomatie slovaque lui ouvrirait davantage le poste d’un commissaire / haut représentant adjoint, chargé de l’élargissement et du voisinage. Un candidat espagnol pourrait aussi faire irruption, Josep Borrell (S&D) le cas échéant. Mais son âge pourrait être un sérieux handicap. Et un autre / ou une autre espagnole pourrait être choisie. Ce qui correspond à la volonté de Madrid de s’imposer sur la scène diplomatique.
Quelques challengers ont été évoqués. Mais ils ne remplissent pas vraiment tous les critères. C’est le cas du SpitzenKandidat social-démocrate, Frans Timmermans qui a le même handicap que M. Vestager : il n’est pas soutenu par son gouvernement. Le Belge Didier Reynders (Libéral) aurait pu être un excellent Haut représentant. Mais il a annoncé cette candidature pour le poste de secrétaire général au Conseil de l’Europe. La Suédoise Margot Wallström (S&D) aurait pu également se profiler. Elle remplit une bonne partie des critères (expérimentée, sociale-démocrate et femme). Mais, comme pour Josep Borrell, son âge pourrait être un handicap. Sauf à reprofiler le poste de haut représentant dans une dimension plus politique et moins coureur du globe. Sujet à suivre…
(Nicolas Gros-Verheyde)
Lire notre dossier N°67. Elections européennes 2019