(B2) L’Elysée, comme la Chancellerie dans une moindre mesure, ont fait montre d’une certaine maladresse dans leur communication sur le traité franco-allemand signé ce mardi (22 janvier) à Aix-La-Chapelle
Au lieu de diffuser le Traité dès qu’il était finalisé ou adopté, Paris et Berlin ont trainé à publier le texte. Ils ont préféré tout d’abord en vanter le contenu dans des communiqués, avec quelques phrases toutes en emphases, soulignant combien le couple franco-allemand était beau et merveilleux. Deux communiqués publiés le 8 janvier par l’Elysée et le 9 janvier par la Chancellerie en témoignent (1). Il a fallu attendre encore une bonne semaine pour voir le texte publié (vendredi 18 janvier dans l’après-midi).
A l’heure du manque de confiance dans les médias et les politiques, et de l’internet tout puissant, cela a laissé le champ libre à toutes les idées farfelues. La rumeur fantasmagorique de la mise sous tutelle allemande de l’Alsace Lorraine — une grosse blague de potaches — ou celle du partage du siège français au Conseil de sécurité — une interprétation déformée — ont ainsi trouvé un terreau d’autant plus facile que le texte original n’était pas disponible.
Ce retard est inexcusable. C’est non seulement une erreur, c’est une faute politique, un manque certain de vertu démocratique. Tout cela pour réussir un petit coup de com’. Le couple franco-allemand aurait mérité un peu plus de considération de la part de ses dirigeants.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) B2 a dès ce moment là produit une première publication in extenso des articles ayant trait à la défense et à la diplomatie, à partir d’une version allemande ‘tombée du camion’ (lire : Politique, diplomatie, défense, les premiers éléments du traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle).
Lire aussi : Ras le bol du ‘blabla’ sur la désinformation. Commençons par bien informer
(B2) En 2003, l’opération Artémis mettait fin à la crise qui sévissait alors en Ituri, au nord-est de la République démocratique du Congo (RDC). Quinze ans après cette expérience unique, quelles leçons en tirer ? Opinion du général Buchsenschmidt
Une section du 3e RIMa (régiment d’infanterie de marine), s’installe sur le poste Mogador pour contrôler les accès du nord-est de la ville de Bunia (crédit : ECPAD / Thomas Samson)
Sous la bannière européenne, une force multinationale dont la France fournissait l’essentiel des éléments avait assuré, manu militari, la sécurisation des camps de déplacés (7000 personnes), la remise en route de l’aéroport de Bunia, ainsi que la protection des populations civiles et des personnels de la mission de l’ONU et des organisations humanitaires. Elle a en outre contribué, au travers d’une « approche globale », à éviter une crise humanitaire.
L’engagement de la force de l’Union européenne (UE) mettait un terme à des mois de luttes sanglantes entre les ethnies Hema et Lendu. Cet engagement était de plein droit légitimé par la résolution 1484 des Nations unies, datée du 30 mai 2003. Dans la foulée, le 12 juin 2003, à l’issue d’un processus décisionnel inhabituellement « ramassé », le Conseil européen prenait formellement la décision d’intervenir en Ituri.
Au préalable, une équipe de planification multinationale et pluridisciplinaire avait élaboré un plan d’opération, approuvé par l’UE dès le 5 juin 2003… Ce plan consistait à mettre sur pied et à déployer à bref délai une force multinationale intérimaire, chargée de créer les conditions nécessaires et suffisantes à la reprise en main de la région par la mission de l’ONU (MONUC).
En prélude au déploiement du gros des troupes, un détachement d’avant-garde fut déployé à Bunia dès le 6 juin 2003. L’ensemble du contingent Artémis (de l’ordre de 2000 hommes et femmes) s’installa dans la foulée, d’une part à Bunia (centre de gravité de l’opération), sous la forme d’un Groupement Tactique Interarmes Multinational (GTIAM) et d’autre part à Entebbe (Ouganda), sous la forme d’une Base de Soutien à Vocation Interarmées (BSVIA). Le 6 septembre 2003, avec le sentiment légitime du devoir accompli, l’UE passait le témoin à la MONUC.
Premièrement, Artémis est la première opération militaire de l’UE sur le continent africain, là où l’OTAN manque cruellement d’expertise et de volonté politique. A n’en pas douter, la connaissance du terrain par des nations comme la France, la Belgique et le Royaume-Uni notamment, a contribué à mobiliser l’opinion européenne. La Force intervenait sous le couvert du Chapitre VII de la Charte des Nations unies, ce qui lui conférait, outre une indiscutable légitimité, un mandat robuste, condition sine qua non d’une intervention fructueuse dans une région particulièrement instable.
Deuxièmement, le triangle d’or ‘ONU – Union européenne – Nation cadre’ a payé, grâce à la stricte séparation des tâches dévolues aux trois acteurs…
Troisièmement, la lourdeur des processus décisionnels en matière de politique extérieure européenne est souvent pointée du doigt, à juste titre au demeurant. Avec Artémis, la preuve est faite, néanmoins, que dans des circonstances précises et dans un climat d’extrême urgence, l’ensemble des organes de décision de l’UE peut faire œuvre d’une remarquable réactivité, résultat d’un indéniable pragmatisme et d’une faculté d’anticipation qui force l’admiration.
Quatrièmement, au niveau politique, l’excellente collaboration entre trois des ténors de l’époque : Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, Javier Solana, Haut représentant de la Politique étrangère et de sécurité commune de l’UE et Aldo Ajello, envoyé spécial de l’UE pour la Région des Grands lacs.
Cinquièmement, la désignation d’une nation-cadre s’est avérée payante. A fortiori lorsque dans le cas présent, c’est à la France qu’échut l’honneur de prendre les rênes du processus, compte tenu de sa connaissance du contexte africain en général et de celui de la RDC en particulier, mais aussi du fait de la disponibilité à très court terme d’éléments de commandement et de combat.
Sixièmement, la relative simplicité de la chaîne de commandement. Au niveau stratégique, le Comité politique et de sécurité (COPS), coiffant le Comité militaire de l’Union européenne (EUMC), lui-même assisté pour les aspects techniques par l’Etat-major militaire de l’Union européenne (EUMS). Au niveau de l’exécution, le général de division (FRA) Neveux, à la tête d’un Quartier-général opérationnel (OHQ) basé à Paris, coiffant le général de brigade (FRA) Thonier, Force Commander, basé à Bunia.
Septièmement, Artémis était une opération purement Union européenne (avec certes la participation de nations non européennes telles que le Brésil, le Canada et l’Afrique du Sud), indépendamment de toute intervention de l’OTAN. Une première, même si ceci souleva quelques difficultés.
Huitièmement, une clé du succès, contre toute attente : la multinationalité, avec pas moins de 17 pays européens, augmentés des nations non-européennes déjà mentionnées. Bien sûr, chacun contribua à sa façon, avec plus ou moins de restrictions (« caveats »). Il n’empêche que réunir autant de partenaires – dont les intérêts stratégiques ne sont pas nécessairement convergents – a constitué une performance hors norme.
Neuvièmement, immanquablement, Artémis a mis en évidence quelques faiblesses bien connues, et toujours d’actualité en 2018 : coopération timide en matière d’échange de renseignement, manque de standardisation des équipements, insuffisance de moyens de transport stratégique, etc.
Dixièmement, de novembre à décembre 2004, j’ai personnellement conduit une mission d’évaluation de la 1ère brigade « intégrée » congolaise à Bunia. Une brigade formée à Kisangani puis déployée à Bunia par les Forces armées belges. A l’époque, déjà, l’insécurité reprenait le pas sur la stabilisation. La leçon est simple : pacifier et « normaliser » une zone de conflit n’a rien de simple en soi. Mais il faut s’inscrire dans la durée. A défaut, toute l’énergie et tous les moyens investis ne résistent pas aux vicissitudes du temps qui passe…
Conclusion
Tant sur le plan politique que sur le plan diplomatique, les succès de l’opération Artémis sont indiscutables et ont vraisemblablement inspiré les concepteurs des « battlegroups de l’UE » (EUBG). Sur le terrain, la situation sécuritaire reste précaire, pour ne pas dire très instable. En cause, malheureusement, l’incapacité de la MONUSCO (ex-MONUC) à utiliser toutes les ressources du Chapitre VII de la Charte de l’ONU. En cause également, le manque de volonté de l’UE d’inscrire le succès militaire dans la durée, en lui substituant, main dans la main avec l’ONU, un processus de coopération au développement pérenne.
Quant aux battlegroups, force est de constater que si l’outil militaire est performant, la volonté du monde politique de l’utiliser fait cruellement défaut. Mais ceci est une autre histoire…
(Guy Buchsenschmidt)
Ancien commandant de l’Eurocorps, vice-président de la Société européenne de défense. Il a été de 2003 à 2005 chef de la section « Evaluation and Lessons Learned » de l’état-major belge
(B2) Malgré le pessimisme ambiant, la situation n’est pas pire qu’il y a un an. 2018 a été une année de tensions, avec de nouvelles problématiques diplomatiques soulevées notamment par le président Trump. Pourtant, il y a eu des avancées, avec la conclusion d’accords, parfois historiques, comme en Macédoine ou dans la Corne de l’Afrique. Pour ne pas sombrer dans un pessimisme ambiant, mais en restant réaliste, petit tour d’horizon.
Des ilots d’espoir dans le monde
Dans la Corne de l’Afrique, un mouvement historique semble s’amorcer avec l’accord de coopération Erythrée-Ethiopie-Somalie signé en septembre, suivi d’un accord de paix entre les deux frères ennemis éthiopien et érythréen. Dans le Golfe, un accord s’est fait en décembre à Stockholm entre les parties yéménites ; accord très fragile, qui a peu de chances de s’émanciper, mais il s’agit d’un premier accord.
En Syrie, la guerre civile interminable semble amorcer une dernière phase, certes sinistre, dans laquelle la communauté internationale accepte, à demi mot, que la solution devra inclure Bachar al Assad, en passe d’achever la reconquête d’une bonne partie du territoire avec l’aide des alliés Russes et Iraniens. Le trio russo-turco-iranien qui gère désormais le processus à la fois militaire et politique a, contrairement aux augures négatifs, tenu la corde et 2019 pourrait amorcer la fin d’un conflit quasi décennal. La Syrie, exclue de la Ligue arabe en 2015, reprends les contacts avec les pays musulmans, qui semblent disposés
L’accord entre la Macédoine et la Grèce, pour rebaptiser le premier en « République de Macédoine du Nord » a été ratifié par le parlement macédonien ce 11 janvier 2019. S’il est ratifié par les Grecs, il supposera une avancée historique qui permettra au pays d’entrer dans le club de l’OTAN (et à long terme dans l’UE) et d’insuffler un air de pacification dans la région.
En Amérique latine, plus de deux ans après sa signature, l’accord de 2016 avec les FARC semble tenir en Colombie, malgré l’élection d’Ivan Duque (en juin 2018), très critique avec l’accord.
Côté gris, stabilisation et perspective de paix
L’accord nucléaire avec l’Iran, malgré la défection américaine, tient encore, pas pour longtemps peut-être, mais il tient. L’Europe est ici mise au défi de réussir son pari, risqué, de créer le « special purpose vehicule » pour soutenir les entreprises européennes et leur permettre de contourner les sanctions américaines.
En Afrique, les pays du Sahel (Niger, Mali,…) ont tenu bon. Mais l’offensive des groupes rebelles et terroristes, si elle est contenue, est loin d’être réduite. Elle s’étend même au Burkina Faso désormais. Et la montée en puissance du G5 Sahel est lente, très lente… La situation pourrait également se compliquer avec l’organisation d’élections législatives et présidentielles au Mali, en avril. Le Nigéria aura également des élections législatives le 16 février prochain.
Dans le reste de l’Afrique centrale, la situation s’est maintenue relativement calme. Il faudra cependant surveiller la RD Congo, le Cameroun et le Tchad, où l’organisation d’élections peut enflammer les pays.
La Libye n’est plus le trou noir de 2017 mais reste anarchique, avec toujours deux pôles politiques en opposition. Une solution pourrait se profiler, incluant le générale Haftar dans l’équation. Un évènement clé sera l’organisation d’élections législatives au printemps.
Au Soudan du Sud, où une demi-décennie de guerre a dévasté le pays, un autre accord de paix a été signé entre les parties belligérantes en septembre. Certains voient des signes d’espoir en cette nouvelle trêve, ouvrant la voie au retour des réfugiés et à la reconstruction du pays. L’accord est pourtant instable et pourrait, comme celui de 2015, échouer après sa signature. L’organisation d’élections au printemps 2019 viendra accentuer les rivalités et pourrait déstabiliser le pays (où les groupes armés restent actifs et font régner un climat d’insécurité) et le refaire plonger dans le conflit.
Dans les Balkans, zone qu’on croyait apaisée, les dérives nationalistes — au Kosovo, en Bosnie-Herzégovine notamment — réveillent un passé douloureux, obligeant les Européens à se consacrer à cette zone, à nouveau, plus qu’ils ne l’ont fait dans le passé.
Côté noir,
Ukraine. Le conflit dans l’Est de Ukraine, loin d’être gelé, comme le qualifient certains analystes irréalistes, produit son quota de morts chaque jour. Le processus de négociation entamé à Minsk, s’il a permis de garder un canal de dialogue, n’a pas produit ses effets. Et les Russes ont ouvert, avec logique, un nouveau front, maritime, pour contrôler l’entrée et la circulation dans la mer d’Azov. Avec des élections prévues en mars, le gouvernement de Porochenko pourrait être tenté de répondre aux attaques de manière forte.
Quant au processus de paix au Moyen-Orient, à défaut d’être totalement mort, il est en coma dépassé. L’ambassadeur suédois à l’ONU l’indiquait récemment en quittant son siège temporaire au conseil de sécurité des Nations unies. Les initiatives françaises et européennes ayant totalement échoué, on attend désormais des États-Unis qu’ils présentent leur stratégie. Mais la décision de déplacer l’ambassade à Jerusalem ne porte pas à l’optimisme, d’autant qu’elle est suivie par d’autres pays.
En Amérique latine, la conjoncture politique et économique est orientée au noir. Les acquis diplomatiques de ces dernières années ont été remisés. Oubliée la consolidation d’espaces diplomatiques autonomes. Oubliée la priorité donnée au multilatéralisme. Oubliées les coopérations sud-sud. Au nom du recyclage d’une politique extérieure de guerre froide. Les discours offensifs de défense du monde libre ont repris du service. Conséquence la plus immédiate, ces milliers de Centraméricains qui marchent vers le Nord, créant un flux migratoire aux répercussions encore indéterminées. La crise principale, politique et humanitaire, est celle du Venezuela, dont le second gouvernement de Nicolas Maduro n’est pas reconnu par la communauté international.
L’Union européenne doit prendre sa place
Dans tous ces bouleversements mondiaux, la diplomatie européenne tient son rang. Mais sans audace. L’accord sur le nucléaire iranien est soutenu à bout de bras par les Européens qui ont réussi. En Libye, elle a été mise de côté par la France, puis par l’Italie. Dans le Sahel, elle est très active mais les résultats ne sont pas à la hauteur, tant sur le plan sécuritaire que politique. Le risque est très grand de perdre la bataille de la visibilité, au profit de la Russie. En Syrie, c’est une des grandes absentes. Et avec le Brexit qui arrive, l’Union est attendue au tournant. Pour quasiment tous les Européens, il semble évident qu’il faut davantage d’action européenne, mais laquelle ? Beaucoup peut être fait en politique extérieure et le sujet devrait s’imposer comme un des éléments clés des élections européennes, où seront définies les orientations pour les prochaines années.
(Nicolas Gros-Verheyde et Leonor Hubaut)
(B2) Un canot venu de Libye a fait naufrage vendredi. Plus d’une centaine de morts. Seuls trois survivants ont pu être récupérés par la marine italienne
(ctédit : Marine italienne)
Un canot avec 20 personnes à bord
Un avion de patrouille maritime P72 de la 41e escadrille de l’Aeronautica Militare de Sigonella a repéré, vendredi (18 janvier) après-midi, un canot pneumatique en train de couler à 50 miles au nord de Tripoli avec environ 20 personnes de bord. Avant de quitter la zone, à la limite de carburant, l’avion a pu larguer 2 canots pneumatiques de survie qui se « sont régulièrement ouverts » indique la marine italienne.
Un hélicoptère du Caio Duilio à la rescousse
Le destroyer Caio Duilio (1) qui était à « plus de 110 milles de la zone » (environ 200 kilomètres a fait décoller son hélicoptère de bord SH 90 (2) pour l’envoyer sur place. Une fois sur zone, l’hélicoptère a récupéré, dans deux missions différentes, trois naufragés en hypothermie, un dans l’eau et deux dans l’un des canots de sauvetage déjà lancés. L’autre canot était vide. Les rescapés ont été ramenés sur le navire, stabilisés et évacués sur l’île de Lampedusa (Italie).
Coordination par le centre de secours de Tripoli
Aucune nouvelle des autres personnes sur le canot. Les « recherches se poursuivent sous la coordination du centre de coordination des secours libyens, qui a assumé la responsabilité du sauvetage, avec le soutien du P72 et de l’hélicoptère du navire Duilio revenu sur les lieux » a précisé la marine italienne vendredi. Le centre de Tripoli a notamment redirigé sur la zone un navire marchand battant pavillon libérien.
117 disparus ?
Selon l’OIM, qui a recueilli les témoignages des rescapés, quand il a quitté la Libye, le canot pneumatique avait 120 personnes à bord. Soit 117 disparus dont dix femmes et un enfant de 2 mois. Par ailleurs, l’organisation internationale indique que les garde-côtes italiens ont recueilli 68 migrants, partis de Zwara (Libye), mercredi soir (16 janvier), et arrivés sur l’île de Lampedusa vendredi (18 janvier)
(NGV)
(B2) Ils sont cinq… Cinq journalistes européens à avoir lancer un blog commun pour couvrir les prochaines élections européennes, dans les pays qu’ils connaissent le mieux.
Ce projet dénommé #Gimme5EU réunit le Bulgare Georgi Gotev (EUelectionsBulgaria), la Française Aline Robert (EUelectionsFrance), l’Italien Emanuele Bonini (EUelectionsItaly) le Polonais Piotr Kaczynski (EUelectionsPoland) et le Roumain Dan Alexe (EUelectionsRomania).
Un projet purement journalistique, soutenu par le Parlement européen. Objectif : « couvrir les préparatifs pour les élections, le scrutin lui-même, et la suite jusqu’à ce que les groupes sont constitués et la formation de la nouvelle Commission européenne ».
(B2) Nous reproduisons le texte in extenso du traité qui sera signé par le président français Emmanuel Macron et la Chancelière allemande Angela Merkel, le 22 janvier à Aix-La-Chapelle
(crédit : Aachen)
Pour notre première analyse sur la partie défense – diplomatie (lire l’article publié le 10 janvier) : Politique, diplomatie, défense, les premiers éléments du traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle
Pour télécharger la version PDF du Traité – en Français / en Allemand
Traité entre la République française et la République fédérale d’Allemagne sur la coopération et l’intégration franco-allemandes
La République française et la République fédérale d’Allemagne,
Reconnaissant le succès historique de la réconciliation entre les peuples français et allemand à laquelle le Traité du 22 janvier 1963 entre la République française et la République fédérale d’Allemagne sur la coopération franco-allemande a apporté une contribution exceptionnelle et dont est né un réseau sans précédent de relations bilatérales entre leurs sociétés civiles et leurs pouvoirs publics à tous les niveaux,
Convaincues que le temps est venu d’élever leurs relations bilatérales à un niveau supérieur et de se préparer aux défis auxquels les deux États et l’Europe sont confrontés au XXIe siècle, et souhaitant faire converger leurs économies et leurs modèles sociaux, favoriser la diversité culturelle et rapprocher leurs sociétés et leurs citoyens,
Convaincues que l’amitié étroite entre la France et l’Allemagne a été déterminante et demeure un élément indispensable d’une Union européenne unie, efficace, souveraine et forte,
Attachées à approfondir leur coopération en matière de politique européenne afin de favoriser l’unité, l’efficacité et la cohésion de l’Europe, tout en maintenant cette coopération ouverte à tous les États membres de l’Union européenne,
Attachées aux principes fondateurs, droits, libertés et valeurs de l’Union européenne, qui défendent l’État de droit partout dans l’Union européenne et le promeuvent à l’extérieur,
Attachées à œuvrer en vue d’une convergence sociale et économique ascendante au sein de l’Union européenne, à renforcer la solidarité mutuelle et à favoriser l’amélioration constante des conditions de vie et de travail conformément aux principes du socle européen des droits sociaux, notamment en accordant une attention particulière à l’autonomisation des femmes et à l’égalité des sexes,
Réaffirmant l’engagement de l’Union européenne en faveur d’un marché mondial ouvert, équitable et fondé sur des règles, dont l’accès repose sur la réciprocité et la non discrimination et qui est régi par des normes environnementales et sociales élevées,
Conscientes de leurs droits et obligations en vertu de la Charte des Nations Unies,
Fermement attachées à un ordre international fondé sur des règles et sur le multilatéralisme, dont les Nations Unies constituent l’élément central,
Convaincues que la prospérité et la sécurité ne pourront être assurées qu’en agissant d’urgence afin de protéger le climat et de préserver la biodiversité et les écosystèmes,
Agissant conformément à leurs règles constitutionnelles et juridiques nationales respectives et dans le cadre juridique de l’Union européenne,
Reconnaissant le rôle fondamental de la coopération décentralisée des communes, des départements, des régions, des Länder, du Sénat et du Bundesrat, ainsi que celui de la coopération entre le Plénipotentiaire de la République fédérale d’Allemagne chargé des Affaires culturelles dans le cadre du Traité sur la coopération franco-allemande et les ministres français compétents,
Reconnaissant le rôle essentiel de la coopération entre l’Assemblée nationale et le Deutscher Bundestag, en particulier dans le cadre de leur accord interparlementaire du 22 janvier 2019, qui constitue une dimension importante des liens étroits entre les deux pays, Sont convenues de ce qui suit :
CHAPITRE 1. Affaires européennes
Article 1er
Les deux États approfondissent leur coopération en matière de politique européenne. Ils agissent en faveur d’une politique étrangère et de sécurité commune efficace et forte, et renforcent et approfondissent l’Union économique et monétaire. Ils s’efforcent de mener à bien l’achèvement du Marché unique et s’emploient à bâtir une Union compétitive, reposant sur une base industrielle forte, qui serve de base à la prospérité, promouvant la convergence économique, fiscale et sociale ainsi que la durabilité dans toutes ses dimensions.
Article 2
Les deux États se consultent régulièrement à tous les niveaux avant les grandes échéances européennes, en cherchant à établir des positions communes et à convenir de prises de parole coordonnées de leurs ministres. Ils se coordonnent sur la transposition du droit européen dans leur droit national.
CHAPITRE 2. Paix, sécurité et développement
Article 3
Les deux États approfondissent leur coopération en matière de politique étrangère, de défense, de sécurité extérieure et intérieure et de développement tout en s’efforçant de renforcer la capacité d’action autonome de l’Europe. Ils se consultent afin de définir des positions communes sur toute décision importante touchant leurs intérêts communs et d’agir conjointement dans tous les cas où ce sera possible.
Article 4
(1) Du fait des engagements qui les lient en vertu de l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord du 4 avril 1949 et de l’article 42, paragraphe 7, du Traité sur l’Union européenne du 7 février 1992, modifié par le Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007 modifiant le Traité sur l’Union européenne et le Traité instituant la Communauté européenne, les deux États, convaincus du caractère indissociable de leurs intérêts de sécurité, font converger de plus en plus leurs objectifs et politiques de sécurité et de défense, renforçant par là-même les systèmes de sécurité collective dont ils font partie. Ils se prêtent aide et assistance par tous les moyens dont ils disposent, y compris la force armée, en cas d’agression armée contre leurs territoires. Le champ d’application territorial de la deuxième phrase du présent paragraphe correspond à celui de l’article 42, paragraphe 7, du Traité sur l’Union européenne.
(2) Les deux États agissent conjointement dans tous les cas où ce sera possible, conformément à leurs règles nationales respectives, en vue de maintenir la paix et la sécurité. Ils continuent de développer l’efficacité, la cohérence et la crédibilité de l’Europe dans le domaine militaire. Ce faisant, ils s’engagent à renforcer la capacité d’action de l’Europe et à investir conjointement pour combler ses lacunes capacitaires, renforçant ainsi l’Union européenne et l’Alliance nord-atlantique.
(3) Les deux États s’engagent à renforcer encore la coopération entre leurs forces armées en vue d’instaurer une culture commune et d’opérer des déploiements conjoints. Ils intensifient l’élaboration de programmes de défense communs et leur élargissement à des partenaires. Ce faisant, ils entendent favoriser la compétitivité et la consolidation de la base industrielle et technologique de défense européenne. Ils sont en faveur de la coopération la plus étroite possible entre leurs industries de défense, sur la base de leur confiance mutuelle. Les deux États élaboreront une approche commune en matière d’exportation d’armements en ce qui concerne les projets conjoints.
(4) Les deux États instituent le Conseil franco-allemand de défense et de sécurité comme organe politique de pilotage de ces engagements réciproques. Ce Conseil se réunira au plus haut niveau à intervalles réguliers.
Article 5
Les deux États étendent la coopération entre leurs ministères des affaires étrangères, y compris leurs missions diplomatiques et consulaires. Ils procéderont à des échanges de personnels de haut rang. Ils établiront des échanges au sein de leurs représentations permanentes auprès des Nations Unies à New York, en particulier entre leurs équipes du Conseil de sécurité, leurs représentations permanentes auprès de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord et leurs représentations permanentes auprès de l’Union européenne, ainsi qu’entre les organismes des deux États chargés de coordonner l’action européenne.
Article 6
Dans le domaine de la sécurité intérieure, les gouvernements des deux États renforcent encore leur coopération bilatérale en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, ainsi que leur coopération dans le domaine judiciaire et en matière de renseignement et de police. Ils mettent en œuvre des mesures communes de formation et de déploiement et créent une unité commune en vue d’opérations de stabilisation dans des pays tiers.
Article 7
Les deux États s’engagent à établir un partenariat de plus en plus étroit entre l’Europe et l’Afrique en renforçant leur coopération en matière de développement du secteur privé, d’intégration régionale, d’enseignement et de formation professionnelle, d’égalité des sexes et d’autonomisation des femmes, dans le but d’améliorer les perspectives socio-économiques, la viabilité, la bonne gouvernance ainsi que la prévention des conflits, la résolution des crises, notamment dans le cadre du maintien de la paix, et la gestion des situations d’après-conflit. Les deux États instituent un dialogue annuel au niveau politique en matière de politique internationale de développement afin d’intensifier la coordination de la planification et de la mise en œuvre de leurs politiques.
Article 8
(1) Dans le cadre de la Charte des Nations Unies, les deux États coopéreront étroitement au sein de tous les organes de l’Organisation des Nations Unies. Ils coordonneront étroitement leurs positions, dans le cadre d’un effort plus large de concertation entre les États membres de l’Union européenne siégeant au Conseil de sécurité des Nations Unies et dans le respect des positions et des intérêts de l’Union européenne. Ils agiront de concert afin de promouvoir aux Nations Unies les positions et les engagements de l’Union européenne face aux défis et menaces de portée mondiale. Ils mettront tout en œuvre pour aboutir à une position unifiée de l’Union européenne au sein des organes appropriés des Nations Unies.
(2) Les deux États s’engagent à poursuivre leurs efforts pour mener à terme des négociations intergouvernementales concernant la réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies. L’admission de la République fédérale de l’Allemagne en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies est une priorité de la diplomatie franco-allemande.
CHAPITRE 3. Culture, enseignement, recherche et mobilité
Article 9
Les deux États reconnaissent le rôle décisif que jouent la culture et les médias dans le renforcement de l’amitié franco-allemande. En conséquence, ils sont résolus à créer pour leurs peuples un espace partagé de liberté et de possibilités, ainsi qu’un espace culturel et médiatique commun. Ils développent la mobilité et les programmes d’échanges entre leurs pays, en particulier à l’intention des jeunes dans le cadre de l’Office franco-allemand pour la Jeunesse, et définissent des objectifs chiffrés dans ces domaines. Afin de favoriser des liens toujours plus étroits dans tous les domaines de l’expression culturelle, notamment au moyen d’instituts culturels intégrés, ils mettent en place des programmes spécifiques et une plate-forme numérique destinés en particulier aux jeunes.
Article 10
Les deux États rapprochent leurs systèmes éducatifs grâce au développement de l’apprentissage mutuel de la langue de l’autre, à l’adoption, conformément à leur organisation constitutionnelle, de stratégies visant à accroître le nombre d’élèves étudiant la langue du partenaire, à une action en faveur de la reconnaissance mutuelle des diplômes et à la mise en place d’outils d’excellence franco-allemands pour la recherche, la formation et l’enseignement professionnels, ainsi que de doubles programmes franco-allemands intégrés relevant de l’enseignement supérieur.
Article 11
Les deux États favorisent la mise en réseau de leurs systèmes d’enseignement et de recherche ainsi que de leurs structures de financement. Ils poursuivent le développement de l’Université franco-allemande et encouragent les universités françaises et allemandes à participer à des réseaux d’universités européennes.
Article 12
Les deux États instituent un Fonds citoyen commun destiné à encourager et à soutenir les initiatives de citoyens et les jumelages entre villes dans le but de rapprocher encore leurs deux peuples.
CHAPITRE 4. Coopération régionale et transfrontalière
Article 13
(1) Les deux États reconnaissent l’importance que revêt la coopération transfrontalière entre la République française et la République fédérale d’Allemagne pour resserrer les liens entre les citoyens et les entreprises de part et d’autre de la frontière, notamment le rôle essentiel des collectivités territoriales et autres acteurs locaux à cet égard. Ils entendent faciliter l’élimination des obstacles dans les territoires frontaliers afin de mettre en œuvre des projets transfrontaliers et de faciliter la vie quotidienne des habitants de ces territoires.
(2) À cet effet, dans le respect des règles constitutionnelles respectives des deux États et dans les limites du droit de l’Union européenne, les deux États dotent les collectivités territoriales des territoires frontaliers et les entités transfrontalières comme les eurodistricts de compétences appropriées, de ressources dédiées et de procédures accélérées permettant de surmonter les obstacles à la réalisation de projets transfrontaliers, en particulier dans les domaines économique, social, environnemental, sanitaire, énergétique et des transports. Si aucun autre moyen ne leur permet de surmonter ces obstacles, des dispositions juridiques et administratives adaptées, notamment des dérogations, peuvent également être accordées. Dans ce cas, il revient aux deux États d’adopter la législation appropriée.
(3) Les deux États demeurent attachés à la préservation de normes strictes dans les domaines du droit du travail, de la protection sociale, de la santé et de la sécurité, ainsi que de la protection de l’environnement.
Article 14
Les deux États instituent un comité de coopération transfrontalière comprenant des parties prenantes telles que l’État et les collectivités territoriales, les parlements et les entités transfrontalières comme les euro-districts et, en cas de nécessité, les eurorégions intéressées. Ce comité est chargé de coordonner tous les aspects de l’observation territoriale transfrontalière entre la République française et la République fédérale d’Allemagne, de définir une stratégie commune de choix de projets prioritaires, d’assurer le suivi des difficultés rencontrées dans les territoires frontaliers et d’émettre des propositions en vue d’y remédier, ainsi que d’analyser l’incidence de la législation nouvelle sur les territoires frontaliers.
Article 15
Les deux États sont attachés à l’objectif du bilinguisme dans les territoires frontaliers et accordent leur soutien aux collectivités frontalières afin d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies appropriées.
Article 16
Les deux États faciliteront la mobilité transfrontalière en améliorant l’interconnexion des réseaux numériques et physiques entre elles, notamment les liaisons ferroviaires et routières. Ils agiront en étroite collaboration dans le domaine de la mobilité innovante, durable et accessible à tous afin d’élaborer des approches ou des normes communes aux deux États.
CHAPITRE 5. Développement durable, climat environnement et affaires économiques
Article 17
Les deux États encouragent la coopération décentralisée entre les collectivités des territoires non frontaliers. Ils s’engagent à soutenir les initiatives lancées par ces collectivités qui sont mises en œuvre dans ces territoires.
Article 18
Les deux États s’emploient à renforcer le processus de mise en œuvre des instruments multilatéraux relatifs au développement durable, à la santé mondiale et à la protection de l’environnement et du climat, en particulier l’Accord de Paris du 12 décembre 2015 et le Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies. À cet effet, ils agissent en rapport étroit afin de formuler des approches et des politiques communes, notamment en mettant en place des dispositifs en vue de la transformation de leurs économies et en favorisant des actions ambitieuses de lutte contre les changements climatiques. Ils garantissent l’intégration de la protection du climat dans toutes les politiques, notamment par des échanges transversaux réguliers entre les gouvernements dans des secteurs clés.
Article 19
Les deux États feront progresser la transition énergétique dans tous les secteurs appropriés et, à cet effet, développent leur coopération et renforcent le cadre institutionnel de financement, d’élaboration et de mise en œuvre de projets conjoints, en particulier dans les domaines des infrastructures, des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique.
Article 20
(1) Les deux États approfondissent l’intégration de leurs économies afin d’instituer une zone économique franco-allemande dotée de règles communes. Le Conseil économique et financier franco-allemand favorise l’harmonisation bilatérale de leurs législations, notamment dans le domaine du droit des affaires, et coordonne de façon régulière les politiques économiques entre la République française et la République fédérale d’Allemagne afin de favoriser la convergence entre les deux États et d’améliorer la compétitivité de leurs économies.
(2) Les deux États instituent un « Conseil franco-allemand d’experts économiques » composé de dix experts indépendants afin de présenter aux deux gouvernements des recommandations sur leur action économique.
Article 21
Les deux États intensifient leur coopération dans le domaine de la recherche et de la transformation numérique, notamment en matière d’intelligence artificielle et d’innovations de rupture. Ils promouvront à l’échelle internationale des directives sur l’éthique des technologies nouvelles. Ils mettent en place, afin de promouvoir l’innovation, des initiatives franco-allemandes qui sont ouvertes à la coopération au niveau européen. Les deux États mettront en place un processus de coordination et un financement commun afin de soutenir des programmes conjoints de recherche et d’innovation.
Article 22
Les parties prenantes et les acteurs intéressés des deux États sont réunis au sein d’un Forum pour l’avenir franco-allemand afin de travailler sur les processus de transformation de leurs sociétés.
CHAPITRE 6. Organisation
Article 23
Des réunions entre les gouvernements des deux États ont lieu au moins une fois par an, alternativement en République française et en République fédérale d’Allemagne. Après l’entrée en vigueur du présent Traité, le Conseil des ministres franco-allemand adopte un programme pluriannuel de projets de coopération franco-allemande. Les secrétaires généraux pour la coopération franco-allemande chargés de préparer ces réunions assurent le suivi de la mise en œuvre de ce programme et en font rapport au Conseil des ministres.
Article 24
Un membre du gouvernement d’un des deux États prend part, une fois par trimestre au moins et en alternance, au conseil des ministres de l’autre État.
Article 25
Les conseils, structures et instruments de la coopération franco-allemande font l’objet d’un examen périodique et sont, en cas de nécessité, adaptés sans retard aux objectifs fixés d’un commun accord. Le premier de ces examens devrait avoir lieu dans les six mois suivant l’entrée en vigueur du présent Traité et proposer les adaptations nécessaires. Les secrétaires généraux pour la coopération franco-allemande évaluent régulièrement les progrès accomplis. Ils informent les parlements et le Conseil des ministres franco-allemand de l’état général d’avancement de la coopération franco-allemande.
Article 26
Des représentants des régions et des Länder, ainsi que du comité de coopération transfrontalière, peuvent être invités à participer au Conseil des ministres franco-allemands.
CHAPITRE 7. Dispositions finales
Article 27
Le présent Traité complète le Traité du 22 janvier 1963 entre la République française et la République fédérale d’Allemagne sur la coopération franco-allemande au sens du paragraphe 4 des Dispositions finales de ce Traité.
Article 28
Les deux États s’informent mutuellement, par la voie diplomatique, de l’accomplissement des procédures nationales requises pour l’entrée en vigueur du présent Traité. Le présent Traité entre en vigueur à la date de réception de la dernière notification.
(source : La tribune)
(B2) Il faut lutter contre la désinformation, les fake news, faire face aux ingérences. C’est devenu le nouveau leitmotiv à la mode à Bruxelles et dans certaines capitales. Une tentation bien commode pour éviter de pointer le doigt sur un problème : le défaut d’information
(crédit : EULEX Kosovo)
Les ministres des Affaires étrangères en discutent ce lundi, après leurs collègues des Affaires européennes. Les chefs d’Etat et de gouvernement s’étaient penchés sur la question en décembre dernier (lire : Stop à la désinformation. Les ’28’ demandent d’agir vite), sur la base d’un ‘plan d’action’ présenté par la Commission européenne en décembre (lire : Un système d’alerte rapide, des unités anti-propagande du SEAE renforcées. Le plan d’action anti-fake news de la Commission). Ils oublient, tous, un point principal. Les responsables politiques sont eux-même à l’origine de certaines tentatives de désinformation.
Un vrai problème…
Il y a un vrai problème de tentative d’influence, de déstabilisation, par le biais de fake news et autres instruments de la Russie. Inutile de tourner autour du pot et de se le cacher. Mais d’une part, ce problème n’est pas vraiment nouveau. Cela s’appelait auparavant la ‘propagande’ ; ce sont juste les instruments techniques qui ont changé. D’autre part, il n’est pas insurmontable.
… et une vraie question
Cela pose une vraie question cependant, de société, aux responsables politiques comme à la presse : que faut-il faire ? passer son temps à démentir, corriger des informations ? C’est, en termes d’efficacité, assez et même très limité. Cela revient à écoper un océan avec une épuisette, et dans le pire des cas, à donner davantage de valeur à ce qui est au départ une vulgaire imbécilité. En un mot, c’est travestir le devoir d’information qu’ont les pouvoirs publics et le métier de journalisme. Peut-être faudrait-il commencer par une réelle politique d’information.
La désinformation à l’européenne
Les tentatives de désinformation ne sont pas le monopole de la Russie. D’autres l’utilisent, de manière parfois plus ‘douce’, y compris au sein des gouvernements nationaux ou des instances européennes, donnant des coups de butoir à l’information.
Première entaille : la transparence bafouée
Exception faite du Parlement européen, la plupart des décisions au niveau européen sont prises, portes fermées. La contrepartie de cette logique, prise au nom du compromis et du réalisme, devrait être une certaine transparence, un rendu précis et concret des décisions. La Commission européenne s’y astreint (de manière plus ou moins réussie) : après chaque réunion de la Commission, un commissaire ‘descend’ en salle de presse pour rendre compte. Au Conseil de l’UE, le compte-rendu obligatoire est beaucoup moins respecté.
De façon courante, maintenant, la conférence de presse sensée rendre compte des décisions tourne au long monologue, suivi de 2 ou 3 questions. Et, après, « désolé… le ministre, le commissaire, est pressé, a un autre rendez-vous, doit prendre l’avion, etc ». C’est ainsi le cas de la première conférence de presse de la présidence roumaine de l’UE, le 8 janvier. Le ministre des Affaires européennes, George Ciamba, était pressé. Résultat, il a ‘oublié’ de rendre compte de la principale décision du jour : les sanctions prises contre l’Iran… après avoir abondamment parlé (tout seul) de la nécessaire lutte contre la désinformation. De façon désormais systématique, la Haute représentante Federica Mogherini a pris ce chemin. Mais il y a pire….
Cet état de fait doit changer. D’une part, c’est une rupture des engagements pris au plus haut niveau, entre les autorités européennes et la presse. D’autre part, une bonne information suppose que sur tous les sujets abordés lors d’une réunion, il puisse y avoir au moins une question, voire deux ou trois, car c’est la diversité même de la presse qui permet ainsi de s’expliquer.
Deuxième entaille : la tentation du coup de com’ nuisible
La communication des décisions prises par la Commission, un gouvernement, est souvent faite au dernier moment à la presse, au moment même de la conférence de presse, voire pendant ou après. Parfois c’est un impondérable — la décision vient d’être prise, et il faut imprimer ou traduire les documents. Mais, bien souvent, ce n’est pas le cas, c’est pour éviter des questions trop pertinentes ou tout simplement garder le suspens jusqu’au bout, faire un coup de com’.
Troisième entaille : le monolinguisme, prise à toutes les déviances possibles
Au niveau européen, bien souvent, les textes ne sont pas traduits dans les langues ‘utiles’ ou majeures. Résultat, on donne à des médias comme Russia Today non seulement la primeur mais l’exclusivité sur la toile dans certaines langues sur certains sujets européens. Lire : Le français exclu de l’Europe de la défense. Gabegie financière. Erreur stratégique
Quatrième entaille : le travestissement ou le blocage de l’information
Trop souvent, certains responsables de communication s’acharnent à retarder, nous aiguiller sur de fausses pistes, quand ils ne se plaignent pas de l’activité d’information. Quand des politiques se cachent, dissimulent les informations importantes ou anodines, voire travestissent la réalité (cf. affaire Benalla en France), ils jouent avec le feu, dévaluent leur parole, et contribuent en fait à préparer le terrain propice à la désinformation suivante. En clair, ils amassent une foison de feuilles sèches, ne reste plus qu’à jeter l’allumette.
Mieux informer, clairement, sainement
Mieux lutter contre la désinformation, ce n’est pas mettre quelques millions d’euros dans un plan d’action, sans grandes idées, ou recruter trois personnes de plus, pour distribuer les bons et mauvais points aux médias, c’est d’abord privilégier une information saine, concrète, anticipée, en facilitant le travail des journalistes professionnels et non en le compliquant.
Mieux lutter contre la désinformation, c’est jouer fair play avec la presse, non pas lui mettre des bâtons dans les roues, jouer au jeu du chat et de la souris, se plaindre une fois les portes fermées que « la presse a trop d’informations ».
Mieux lutter contre la désinformation, c’est tenir ses engagements, venir rendre compte, publier toutes les informations disponibles, dès que possible, et dans une langue accessible à tous.
C’est seulement à ces conditions que nous pourrons bâtir une vraie ‘résilience’ dans la population et rétablir une confiance dans les institutions. Ensuite nous pourrons parler de lutte contre les désinformations…
(Nicolas Gros-Verheyde)
Réinvestir le web : une réflexion qui doit faire tâche dans les médias
Cette interpellation des politiques doit se prolonger au niveau des médias. En désertant le web, pour ne livrer que des informations semblables, car puisées aux mêmes sources (dépêches AFP, Reuters, …), en s’engageant dans une culture du ‘clic’ (pour générer une improbable ressource publicitaire…), les médias, nous, avons commis une double erreur : 1° livrer un contenu quasi identique (donc se prêter à l’accusation du ‘vous êtes tous pareils’) ; 2° laisser le champ libre sur le ‘net’ aux ‘autres’ informations, parfois intéressantes, mais parfois totalement fausses.
C’est la quadrature du cercle : Comment réinvestir le web et, en même temps, trouver des ressources adéquates qui préservent l’indépendance ? Comment garantir la diversité des médias et des opinions, et, en même temps, produire une information saine et honnête à tous et non réservée à une élite ? Comment assurer une certaine traçabilité de l’information, condition préalable à la confiance, en préservant le secret des sources ? Nous devons nous y pencher. B2, qui a toujours eu un ‘blog’ à côté de son site payant, réfléchit sur ce point (4). Nous engageons d’autres médias à y réfléchir.
(B2) L’Etat-major des armées françaises annoncé jeudi (17 janvier) que la marine turque avait mené des manœuvres communes avec le frégate Aconit, en Méditerranée orientale. L’hélicoptère du navire turc s’est posé sur le pont du Français, les deux bâtiments ont navigué ensemble et surtout, ont vérifié leur capacité à communiquer.
(RM)
(B2) Une nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre dans la presse britannique ces dernières heures : L’article 22 du Traité permettrait de déterminer une exception à la tenue d’élections européennes. Ce qui permettrait ainsi de repousser au-delà du 30 juin 2019 la date ‘officielle’ du Brexit. Est-ce exact ?
Cette information a notamment été reprise par notre collègue du Guardian.
Meet Article 22 of the EU treaty on EU citizens’ right to vote in European elections.
It allows for « derogations where warranted by problems specific to a member state ».
Such as extending Article 50?
Hat tip @AgataGostynska pic.twitter.com/LsX98mYOab
— Jennifer Rankin (@JenniferMerode) 16 janvier 2019
L’article 22 permet-il une dérogation pour faire élire des députés britanniques ?
Non. Nous avons vérifié… Il semble y avoir une ‘petite’ erreur d’interprétation chez nos collègues britanniques. L’article 22 du Traité ne concerne pas les élections européennes en soi, il autorise le droit de vote des citoyens européens dans un autre pays européen que celui dont il a la nationalité pour les élections (municipales ou européennes). Ce n’est qu’en complément de cette disposition que le Traité attribue au Conseil le soin de déterminer des mesures dérogatoires, et non au principe de l’élection elle-même.
« Sans préjudice des dispositions de l’article 223, paragraphe 1, et des dispositions prises pour son application, tout citoyen de l’Union résidant dans un État membre dont il n’est pas ressortissant a le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen dans l’État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État. Ce droit sera exercé sous réserve des modalités, arrêtées par le Conseil, statuant à l’unanimité conformément à une procédure législative spéciale, et après consultation du Parlement européen; ces modalités peuvent prévoir des dispositions dérogatoires lorsque des problèmes spécifiques à un État membre le justifient.
On ne peut établir, à partir de cette seule disposition, une base pour permettre d’adopter un régime dérogatoire aux élections européennes en Grande-Bretagne.
Une autre disposition
En revanche, il existe une disposition, à l’article 14 du Traité, qui permet au « Conseil européen à l’unanimité, sur initiative du Parlement européen et avec son approbation, [d’adopter] une décision fixant la composition du Parlement européen ». Mais celle-ci est soumise au respect de deux principes : 1° Le Parlement européen est composé de représentants des citoyens de l’Union. 2° « La représentation des citoyens est assurée de façon dégressivement proportionnelle ». Cela pourrait nécessiter de modifier le Traité pour insérer une disposition temporaire pour les Britanniques : c’est possible avec une procédure accélérée (procédure ‘ordinaire’, sans convocation d’une Convention, comme le prévoit l’article 48), mais cela suppose une procédure de ratification ensuite dans chaque pays. Un peu complexe…
Impossible n’est pas européen
Il va encore falloir interpréter tout ceci. Mais je fais confiance aux juristes, ingénieux, européens pour trouver une solution. L’expérience dans le passé a prouvé que tout ce qui est impossible un jour, devient possible le lendemain, en trouvant une astuce dans un coin du traité, voire dans le droit international… Les mêmes qui vous avaient expliqué doctement le cœur sur la main que c’était impossible venant ensuite vous expliquer le contraire, le sourire aux lèvres.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Mis à jour – complété sur la modification du Traité