(B2) Les institutions européennes, et en particulier la Commission européenne, soutiennent largement l’accord de Prespa, « important pour la région et pour l’Europe » a encore rappelé le porte-parole de l’exécutif européen ce jeudi (24 janvier) midi. Ce « à l’unanimité ». Cela n’a pas empêché le commissaire européen Dimitris Avramopoulos de s’exprimer contre cet accord : « L’accord de Prespa n’est pas équilibré et c’est donc problématique » a-t-il lâché de retour sur le sol national (1).
(crédit : Commission européenne)
Le surf sur une vague nationaliste
Chargé du portfolio des Migrations, de la Citoyenneté et des Affaires intérieures, cet ancien ministre de la Défense avait effectué un parcours actif jusqu’à présent, sans faute, selon moi. Mais il appartient à un parti : Nouvelle démocratie (Néa Dimokratía), totalement opposé à l’accord de Prespa, prêt à ‘surfer’ sur tous les vents nationalistes, pour s’opposer au gouvernement de Alexis Tsipras. Mis sous pression par ses collègues de parti, il a craqué…
Nationaliste ou Européen
Alors qu’à Skopje et à Athènes, certains agitent le drapeau nationaliste le plus nauséabond, essayant de remettre au présent des querelles de 2000 ans, cette position semble contradictoire avec l’esprit européen. C’est une chose d’être fière de son passé et de son histoire. C’en est une autre de ne pas vivre au présent et au futur. Macédoine et Grèce sont membres d’un même espace, européen. La querelle sur le nom du premier a pu être réglée au prix de discussions longues et d’efforts de part et d’autre. Il est temps d’en tirer conséquence.
La fin de la collégialité ou la démission du commissaire
Cette déclaration d’un commissaire européen est totalement contradictoire avec la lettre et l’esprit de la Commission européenne. On est face à un choix d’organisation. Soit sur cette question sensible, l’exécutif européen estime que chaque commissaire est libre d’avoir une opinion. Soit il a pris une position — ce qui semble être le cas —. et ses membres sont tenus de s’y soumettre. C’est cette seconde option qu’a précisé le porte-parole. Dans ce cas, il ne reste plus que deux choix. Soit Avramopoulos reste membre de la Commission, et retire sa proposition. Soit il estime que la position nationale prime, et il démissionne (2). Il peut y avoir des sujets sur lesquels des nuances peuvent s’exprimer, au niveau économique par exemple, quand il s’agit de l’essence et de la stabilité de l’Europe, c’est difficile. Pour paraphraser Chèvenement : un commissaire çà ferme ca gueule ou çà démissionne.
La faiblesse européenne pour la Nouvelle démocratie
De façon générale, il est navrant de voir l’exécutif européen plutôt attentiste sur cette position. On aurait attendu un peu plus de courage vis-à-vis de l’attitude de Nouvelle Démocratie, qui appartient cependant au grand courant démocrate-chrétien européen, le PPE. Interrogé à plusieurs reprises, le porte-parole de la Commission s’est refusé à condamner l’attitude de ce parti. Est-ce l’appartenance commune au PPE de Jean-Claude Juncker ou le passé politique de son porte-parole Margaritis Schinas, ancien député de la ND. Ce serait difficile à croire que la Commission européenne en soit ramenée à des considérations aussi bassement politiciennes. Ce serait dommage pour l’Europe.
(Nicolas Gros-Verheyde)
NB : dans les colonnes de B2, nous utiliserons désormais l’appellation ‘Macédoine du Nord’, conforme à l’accord de Prespa, soutenu par les Européens.
(B2) Le non remplacement de la frégate Augsburg par un autre navire n’est pas une simple question de timing. En marge du forum de Davos, la ministre allemande de la Défense, Ursula von der Leyen a tenu à expliquer sa position.
L’Allemagne reproche à l’Italie d’avoir saboté l’opération et l’opération d’être inefficace. « La force opérationnelle italienne a envoyé la marine allemande dans les coins les plus reculés de la Méditerranée. Comme il n’y avait pas d’itinéraires de contrebande, aucune tâche significative n’avait été accomplie depuis des mois ». « Il est important pour nous que la tâche de la mission soit maintenant clarifiée politiquement à Bruxelles » lâche-t-elle, selon les médias allemands qui rapportent l’information.
Commentaire : Le divorce semble être consommé entre Berlin et Rome sur l’opération européenne maritime en Méditerranée Sophia (alias EUNAVFOR Med). On est sur une vraie question politique que d’aucuns se posent dans les couloirs européens (au sein du Comité politique et de sécurité, des organes militaires, etc.) : à quoi sert Sophia ? Quel est son/ses objectifs ? Ont-ils été vraiment atteints. Sinon comment ? En gros, pourrait-il y avoir une autre opération demain à la place de Sophia ?
(Nicolas Gros-Verheyde)
(B2) La messe est-elle dite pour l’avenir de l’opération Sophia ? A écouter Dimitris Avramopoulos, le commissaire européen chargé des Migrations, on n’est pas loin de la fin… même si celui-ci en défend encore l’utilité. Et ce pessimisme n’est pas contredit par les faits dont B2 a connaissance
Le commissaire chargé des Migrations (de nationalité grecque) était devant la presse ce mercredi (23 janvier) midi pour rendre compte de la réunion du collège (Commission européenne). Il a été, en 2015, un des premiers (avec Federica Mogherini) à défendre l’utilité de l’opération maritime de l’Union européenne afin de lutter contre les trafics en Méditerranée (alias EUNAVFOR Med ou Sophia). Aujourd’hui, l’avenir semble sombre.
Ayons foi dans l’opération
« La foi » dans l’opération est intacte a assuré le commissaire. « L’opération Sophia est une réussite. Grâce à cette opération, on a vu le nombre de passeurs diminuer. On a pu décourager ainsi les gens d’effectuer le voyages de manière dangereuse la Méditerranée. » Et « selon moi, cette opération devra continuer ». NB : un point de vue, officiellement partagé par les ministres de la Défense de l’Union.
Un coup dur allemand
Le retrait allemand de l’opération (lire : L’Allemagne se retire de l’opération Sophia) est un coup dur. Mais le commissaire n’en laisse rien paraitre. « Le retrait du navire allemand [la frégate Augsburg] était prévu en février. L’Allemagne continue de participer à l’opération. Rien ne dit qu’un navire ne sera pas rendu disponible dans le futur. »
Si l’Italie veut arrêter, à elle de le décider
Sur le futur de l’opération, Dimitris Avramopoulos est plus furtif. Cela « dépend des États membres. C’est à eux de prendre la décision au final ». Et d’avouer : « Si l’Italie qui est aux commandes de l’opération décide d’arrêter l’opération, c’est sa décision » (1). C’est clair, c’est franc, et c’est la réalité.
La fin de l’opération est-elle inéluctable ?
Un problème hautement politique
En pratique, tout le monde le sait, « il y a un problème, bien connu, qui n’a rien à voir avec l’opération » comme l’a rappelé à B2 un diplomate européen. Il s’agit d’avoir un accord global sur le paquet migratoire (le mécanisme de Dublin), la répartition des demandeurs d’asile dans les pays, et éventuellement d’avoir un mécanisme de répartition temporaire des réfugiés et migrants débarqués des bateaux. « Les contacts sont en cours entre États membres » nous a-t-on assuré.
Pas de solution possible avant mars ?
En fait, le temps presse. L’opération a été prolongée jusqu’au 31 mars. Et, pour l’instant, le point n’est ni à l’ordre du jour de l’informelle des ministres de la Défense ou des affaires étrangères (fin janvier à Bucarest) ni des ambassadeurs du Comité politique et de sécurité. La question est hautement politique. Il faut attendre … « le sommet européen de mars » me confie un bon connaisseur du dossier. « On verra alors si les chefs d’État et de gouvernement » sont capables de « trouver une solution ».
Un défi dans le maelstrom électoral
Le paris sont ouverts. Mais dans les couloirs, difficile de trouver un optimiste. « Durant les derniers mois, malgré tous les efforts, il a été impossible de trouver une solution » poursuit notre source. La reconduction en décembre de l’opération juste pour trois mois s’est faite aux forceps (lire : Le cadeau de Noël des 28. L’opération Sophia prolongée de trois mois). Et « à moins d’un changement majeur, je ne vois pas ce qui pourrait changer la donne ». Au contraire, plus on tarde, « plus on se rapproche de l’échéance électorale. Plus cela risque d’être difficile ».
Adieu Sophia ?
Dans quelques semaines, et encore plus en mars, nous serons en plein maelström électoral. Dans ce contexte, pour Matteo Salvini et d’autres responsables italiens, donner un coup d’arrêt à l’opération Sophia ressemble à du pain béni. On peut à la fois critiquer l’opération comme un facilitateur d’entrée de migrants (NB : ce qui est faux), se flatter d’avoir contraint les Européens à abaisser leur pavillon et crier un petit cocorico national (2). Tellement facile que ce serait imbécile de s’en priver. Adieu Sophia ?
(Nicolas Gros-Verheyde, avec Leonor Hubaut)
Lire aussi : Rome veut-il tuer l’opération Sophia ? Paris acquiesce secrètement
(B2) Les équipages du 62ème escadron de transport aérien de Wunstorf attaquent une nouvelle étape dans l’appropriation de l’avion européen A400M : l’évacuation de ressortissants et l’appui aux forces spéciales indique la Luftwaffe . Dans ce dernier registre, ils vont devoir apprendre à opérer de jour comme de nuit, notamment en participant à des exercices et des entraînements des forces spéciales.
(B2) C’était sinon attendu du moins redouté. L’Allemagne ne devrait plus fournir de moyens navals à l’opération européenne en Méditerranée (EUNAVFOR Sophia)
(Crédit : Bundeswehr / Michael Bockner)
Un moyen sans doute pour les Allemands de mettre la pression sur les Italiens et d’autres pays qui tardent à adopter un mécanisme de répartition pour les réfugiés qui pourrait finalement être le bouton nucléaire d’anéantissement de la mission. Ce retrait est d’autant plus dommageable que Berlin a été un des premiers contributeurs, avant même le lancement officiel de l’opération. De façon plus symbolique, c’est un enfant accouché par les marins allemands, qui a donné son nom à l’opération, en l’honneur de la princesse Sophia von Schleswig-Holstein (Lire : Ne dites plus EUNAVFOR Med, dites Sophia !).
Le Berlin ne viendra pas en Méditerranée…
La Bundeswehr ne participera bientôt plus à la mission avec son propre navire. La frégate Augsbourg, présente dans l’opération depuis février, ne sera pas remplacée par le navire de ravitaillement et de soutien Berlin (A 1411), comme prévu initialement.
… préférant la mer du Nord
L’inspecteur général de la Bundeswehr, Eberhard Zorn, en a informé mardi (22 janvier) les députés de la commission des affaires étrangères du Bundestag, indique le Süddeutsche Zeitung. Le Berlin participera plutôt aux manœuvres de l’OTAN en mer du Nord, restant en attente pour Sophia. Les dix militaires et marins allemands présents au QG de l’opération restent pour l’instant.
Matteo Salvini satisfait
Le ministre italien de l’intérieur Matteo Salvini a raillé cette décision dans son style habituel par un tweet : « La mission Sophia avait pour mandat de débarquer tous les immigrants uniquement en Italie, avec 50 000 nouveaux arrivants dans notre pays. Si quelqu’un se retire, ce n’est pas un problème pour nous. » C’est ainsi le baiser de la mort que prononce Rome. Pour le leader de la Ligue du Nord, obtenir l’arrêt de l’opération serait ainsi comme une victoire politique qu’il pourrait revendiquer.
Situation désespérée pour l’avenir de Sophia
Au 31 mars prochain, délai obtenu aux forceps fin décembre pour tenter de résoudre la quadrature du cercle — la répartition des migrants et demandeurs d’asile rescapés — l’opération pourrait bien devoir fermer. EUNAVFOR Med a déjà subi quelques désistements : les Belges (estimant l’opération inefficace, lire : La Belgique pourrait cesser toute contribution à l’opération Sophia en 2019), les Britanniques (pour cause de Brexit) ont, en effet, déjà décidé d’interrompre toute participation navale. Plusieurs pays tels la Grèce, la Suède, la Bulgarie ne participent pas à l’opération.
Il ne reste plus aujourd’hui (pour les moyens navals), hormis les moyens nationaux italiens, que l’Armada espagnole, à moins que la Royale (la marine française) ne se décide à sauver cette opération. Ce qui est une vraie gageure, la France — que ce soit au Quai d’Orsay (du côté des diplomates) ou rue Saint Dominique (au ministère) — n’a jamais été farouchement enthousiaste pour cette opération.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Une baisse de voilure pour le navire amiral
La marine italienne a déjà réduit la voilure pour son navire amiral. La frégate de défense anti-missiles Luigi Rizzo (F-595) a remplacé début janvier le navire d’assaut amphibie San Marco (L-9893) qui était le navire de commandement depuis cinq mois (153 jours). On n’est pas tout à fait dans le même registre, en particulier en termes d’espace à bord et d’accueil de personnes : un équipage de 130 marins environ pour le premier avec possibilité d’accueillir 2 hélicoptères ; un équipage de 180 marins pour le second, avec possibilité d’héberger au moins 350 personnes et d’accueillir cinq hélicoptères.
(B2) « Maintenant commence la vraie négociation. Il faut marquer notre fermeté et refuser toute prolongation » s’est exclamé aujourd’hui l’eurodéputé français Alain Lamassoure lors du débat sur le Brexit. Pour cet excellent spécialiste des affaires constitutionnelles européennes : « Le Parlement britannique ne peut pas négocier un traité international, c’est une plaisanterie ! »
Pas de prolongation sauf évènement grave
« S’il devait y avoir une prolongation, il faudrait un événement politique majeur au Royaume-Uni : démission de Theresa May, dissolution du Parlement, ou nouveau référendum dont la question devra être approuvée par l’actuelle Chambre des Communes. Et ce, avant la limite extrême du 30 juin. »
Le 29 mars c’est le 29 mars, version européenne du Brexit is Brexit
« Si l’UE accepte de retarder le Brexit sans motif politique précis au-delà du 30 juin, c’est l’Union européenne qui attrapera la gangrène britannique, parce qu’on en sortira jamais. Le 29 mars, c’est le 29 mars. Se fixer des dates claires est une règle d’or de la méthode communautaire. »
Pour l’Irlande, une solution : le groupement régional
Enfin, l’originaire de Pau a une idée : utiliser toutes les formules de coopération transfrontalière. « Nous devrions sérieusement étudier la formule du Groupement régional de coopération territoriale comme piste pour maintenir la coopération entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, et sauver la face sur le problème insoluble de la frontière dure. »
Commentaire : La tendance dure gagne du terrain
Ce propos n’est pas celui d’un homme isolé. C’est celui d’un connaisseur. Il trahit une tendance de fond qui semble gagner du terrain à Bruxelles et dans les capitales, lassées de l’incertitude britannique : la tendance dure.
Un délai rabougri ?
Certains chefs d’État et de gouvernement ne seraient prêts ainsi qu’à lâcher un mois de plus, soit jusqu’au 30 avril aux Britanniques. La tentation de Londres de repousser les délais sans cesse apparait de plus en plus comme une vaste entourloupe aux yeux des spécialistes. On peut s’interroger si la méthode ‘May’ consiste à de l’amateurisme pur ou une rouerie supplémentaire visant à aller jusqu’au bout du délai, du précipice, pour à la fois forcer l’adversaire interne et l’Union européenne au compromis. Mais il y a un fait qu’on ne peut ignorer : la locataire du Downing Street semble se faire quelques illusions sur l’esprit européen qui, au final, unit plus les Européens qu’il les désunit.
Un petit détail de procédure oublié
Elle a mal apprécié un (petit) point de procédure : la décision de repousser les délais du Brexit se prend à l’unanimité des ’27’ (selon l’article 50). Il suffit que deux ou trois Etats, plutôt centraux dans le processus de décision (France, Allemagne, Autriche, Belgique, etc.), ne soient pas d’accord et le fassent savoir ; la décision ne sera même pas mise aux voix. Résultat, le 29 mars restera le jour du Brexit.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(B2) L’Association pour les études sur la guerre et la stratégie (AEGeS), Sciences Po Grenoble et l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, le GRIP, Confrontations Europe, l’avocat Frédéric Mauro, … sans oublier B2 – Bruxelles2, avons le plaisir de vous inviter à la seconde édition des Entretiens de la Défense Européenne autour d’une thématique : « Vers une armée européenne ».
Dans un contexte de fortes incertitudes et tensions au niveau international, trois chefs d’Etat et de gouvernement, le Président Emmanuel Macron, la Chancelière Angela Merkel et le Premier ministre Pedro Sanchez ont tour à tour évoqué la nécessité d’une armée européenne. Un tabou est tombé. A la veille des futures élections européennes, le temps est venu de prendre ce projet au sérieux et d’en dégager les contours possibles :
Une armée européenne pour quoi faire ? Au service de quel projet ? Avec quelles ambitions, capacités et équipements ? Dans quel cadre politico-institutionnel ?
Notez la date : jeudi 16 mai 2019, de 8h30 à 17h, à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne. 1 rue Victor Cousin 75005 Paris
D’autres informations suivront
(B2) Pour « mettre en œuvre le Traité d’Aix-la-Chapelle », Français et Allemands ont ciblé « 15 projets prioritaires, dont le suivi sera assuré par le Conseil des ministres franco-allemand ». En voici la liste : sympathique, mais pas vraiment très enthousiasmant…
(NGV, à Aix-La-Chapelle)
(B2) Passées quelques généralités, il faut lire attentivement le traité d’Aix-la-Chapelle. Celui-ci recèle quelques beautés cachées qui méritent une attention, notamment en matière de défense et de diplomatie
(crédit : Aachen)
La salle du couronnement de l’Hôtel de ville d’Aix-la-Chapelle, qui accueille ce mardi (22 janvier) la Chancelière Angela Merkel et le président Emmanuel Macron sous le blason de Charlemagne, qui unit le lys français à l’aigle allemand, aurait sans doute mérité un peu plus d’enthousiasme et d’explications.
Tel un vieux diesel poussif, qui recrache plus de scories que d’énergie, le traité d’Aix-la-Chapelle, qui vient s’ajouter au bon vieux traité de l’Elysée de 1963, manque d’un grand projet qui pourrait faire vibrer un peu nos nations endormies. Il reste souvent limité dans son ambition, marquée par toute une série de réserves, hésitant entre l’emphase et le réalisme précautionneux, et finalement moins concret que son aîné.
Mais il ne faut pas s’arrêter à un premier survol, naturellement critique. Ce texte recèle aussi plusieurs vertus qu’il importe de bien détailler. De nombreux engagements, anodins en apparence, donneront bien du fil à retordre à leurs auteurs pour être mis en œuvre jusqu’au bout. Ne pas les mettre en valeur serait une erreur.
Une vertu stratégique : le couple franco-allemand dans l’Europe
La première vertu stratégique de ce texte est de resituer le franco-allemand dans le contexte actuel. Il permet d’affirmer, haut et fort, combien la nécessaire coopération entre Paris et Berlin est nécessaire et utile non seulement pour les Français et les Allemands, mais aussi pour les Européens.
Avec le départ du Royaume-Uni, la France et l’Allemagne restent plus que jamais les deux principales puissances de l’Union européenne, rassemblant près d’un Européen sur trois. C’est dans ce cadre que Français et Allemands situent désormais leur action et non plus seulement dans leur dialogue intuitu personae. C’est l’élément fondamental qui distingue à 56 ans de distance l’écrit de l’Elysée de celui d’Aix-la-Chapelle. « L’amitié étroite entre la France et l’Allemagne demeure un élément indispensable d’une Union européenne unie, efficace, souveraine et forte » est-il indiqué.
Le mot Europe est inscrit à tous les tournants, tellement conjugué régulièrement à toutes les politiques, qu’on l’oublierait presque. Ainsi Paris et Berlin s’engagent à « renforcer leur coopération » en matière de politique étrangère, de défense ou de sécurité intérieure « tout en renforçant la capacité de l’Europe à agir de manière indépendante ». En matière de défense, ils s’engagent à la fois « à renforcer la capacité d’action de l’Europe » comme à « investir conjointement pour combler ses lacunes capacitaires » dans des projets industriels, etc.
Une approche commune entre les deux armées
La seconde vertu de ce texte est de mettre le curseur sur quelques difficultés qui empêchent d’avancer. Il entend ainsi jeter les bases d’une approche commune plus serrée entre les armées française et allemande. La volonté « d’instaurer d’une culture commune »est affirmée, tout comme celle « d’opérer des déploiements conjoints ». C’était déjà l’esprit du traité de l’Elysée, au moins pour la partie doctrinale.
Mais on ne peut pas dire que les réalisations suivantes, notamment la création de la brigade franco-allemande, aient produit l’effet escompté. Les « doctrines » d’intervention restent différentes. Même si Français et Allemands se retrouvent souvent sur les mêmes terrains (Afghanistan, Mali…), ce sont souvent des déploiements juxtaposés (au mieux !) que des déploiements conjoints. Y arriver va nécessiter beaucoup d’efforts de part et d’autre : pour les Français il faudra être un peu plus patients et inclusifs et pour les Allemands être un peu plus volontaires et… efficaces. C’est une vraie gageure. « Ce n’est pas facile » comme le dit Angela Merkel.
Définir une politique d’armements commune
Troisième ‘beauté cachée’ : la mise en place d’une « approche commune en matière d’exportation d’armements ». Ce n’est pas gagné non plus. Les règles allemandes sont plus strictes que les règles françaises. Et le contexte politique national outre-Rhin est plus sensible à certaines exportations qu’en France. Mais c’est une nécessité à la fois politique et économique.
Certes cette approche n’est valable que pour les « projets communs », et chaque pays restera maitre chez lui pour des projets purement nationaux. Mais, du moins pour les investissements lourds, l’investissement en commun va devenir la règle. Entre l’avion de transport militaire, A400M, les hélicoptères d’attaque Tigre ou de transport NH90, le futur char lourd, l’avion du futur (l’après Rafale) et le drone de surveillance européen (Eurodrone MALE), ils ne manquent pas. Ne pas définir une règle commune d’exportation serait mettre en péril certains projets industriels communs.
Une clause de solidarité alternative
Quatrième engagement : la volonté commune de défendre les frontières de l’autre s’il venait à être agressé. Les pays entendent se garantir mutuellement « aide et assistance éventuelle en cas d’attaque armée de leurs territoires ». Ce « par tous les moyens dont ils disposent, y compris la force armée ». Rien de nouveau en apparence. C’est la répétition du cadre des clauses dites de défense mutuelle ou d’assistance mutuelle prises dans le cadre de l’OTAN ou de l’Union européenne, avec toutes les limites qui s’imposent. L’assistance mutuelle ne se déclenche ainsi qu’en cas d’évènement très grave : une attaque armée, venant de l’extérieur, sur le territoire ‘européen’ d’un des deux pays. Cette clause est donc surtout « symbolique et politique » ainsi que me l’a confié un haut gradé. Y voir quelque chose de totalement inutile est cependant une erreur. C’est plutôt une ‘double’ assurance, qui n’aurait à s’actionner que si, pour une raison ou une autre, l’OTAN serait paralysée. En matière militaire, le superflu est parfois nécessaire…
Militer pour une réforme du Conseil de sécurité de l’ONU
Dernière vertu du texte, défendre la revendication allemande d’avoir un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Ce n’est pas illogique au regard du poids économique et politique de l’Allemagne. Cette avancée est cependant liée à une réforme plus globale du Conseil de sécurité des Nations unies que les deux pays s’engagent à pousser. C’est en fait un cadeau fait à la coalition au pouvoir à Berlin qui a fait de cette présence un des points clés de sa politique étrangère. Paris n’entend pas céder donc son siège permanent au Conseil de sécurité et son droit de veto. C’est un des ressorts de la puissance diplomatique hexagonale. On est là face à des contradictions de la relation franco-allemande qu’il faudra bien résoudre demain.
(Nicolas Gros-Verheyde)
article paru chez nos collègues d’Euractiv