Emmanuel Macron n’a pas caché son agacement à l’égard de la Chancelière allemande, samedi, lors de la conférence sur la sécurité de Munich : « je n’ai pas de frustration, j’ai des impatiences ». De fait, depuis deux ans, Angela Merkel a soigneusement tué toutes les propositions du chef de l’État français visant à relancer l’intégration communautaire, de la défense à la zone euro en passant par l’environnement, l’intelligence artificielle ou la réforme des institutions. À l’heure où les États-Unis se désengagent de la marche du monde et où la Chine affirme sa brutale puissance, cette Allemagne vieillissante et conservatrice, affirme que l’Union telle qu’elle est, c’est-à-dire une grande Suisse, lui suffit amplement. Elle lui permet d’accumuler des excédents grâce au marché unique et à l’euro, excédents qu’elle n’entend pas partager avec les pays qui souffrent des déséquilibres qu’elle crée, et les rêves français d’une puissance européenne lui sont totalement étrangers, le parapluie militaire américain, même troué, lui suffisant largement.
À l’Élysée, on le reconnait : l’Allemagne merkelienne est dénuée de toute pensée géostratégique, ce qui rend impossible toute « nouvelle dynamique (pour) l’aventure européenne », notamment en transférant au niveau de l’Union des « éléments de souveraineté », comme le souhaite Emmanuel Macron. On va le voir une nouvelle fois jeudi lors du sommet extraordinaire consacré au cadre financier pluriannuel européen 2021-2027 : non seulement Berlin qui croule sous l’argent n’entend pas lâcher un euro supplémentaire pour compenser le départ du Royaume-Uni, mais elle veut obtenir une nouvelle baisse, après celle de 2012, d’un budget communautaire déjà famélique (un peu plus de 1 % du RNB européen). Si l’argent est la mesure de l’ambition, Berlin va clairement afficher qu’elle n’en a absolument aucune pour l’Union. Cette réalité dissimulée depuis une vingtaine d’années derrière le commode paravent de l’euroscepticisme britannique va être mise en évidence par le Brexit.
Ce refus merkelien de changer quoi que ce soit, alors que le monde évolue à grande vitesse, commence à créer un malaise dans les rangs de la CDU, les démocrates-chrétiens allemands. « C’est le président français qui fait des propositions et c’est nous qui prenons beaucoup de temps pour y répondre », a ainsi reconnu à Munich Armin Laschet, l’un des possibles candidats à la succession de la chancelière. Sous ses airs policés, cette phrase est particulièrement violente, Merkel étant totalement intouchable en Allemagne.
Cela étant, il serait très injuste de faire porter le chapeau de la panne européenne à la seule Merkel : en réalité, en dehors de la France, il n’existe plus aucune volonté politique de bâtir une Europe puissance, voire même de maintenir l’Union telle qu’elle est. Les pays d’Europe de l’Est et du sud sont seulement intéressés par l’argent européen, les pays du nord par les bénéfices du grand marché et de l’euro. Mais le jour où l’on jugera que les inconvénients l’emportent sur les bénéfices, chacun reprendra ses billes. Bref, la question est posée : l’Europe a-t-elle seulement été le projet de la seconde moitié du XXe siècle ? Donald Trump et Xi Xiping le pensent.
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