Dans un laboratoire de Sanofi, dédié à la recherche d’un vaccin contre le Covid-19, à Val-de-Reuil. Photo Joël Saget. AFP
Après un sérieux retard à l’allumage lorsque le Covid-19 s’est abattu sur le Vieux Continent en début d’année, l’Union européenne est désormais en ordre de bataille face à la pandémie. Symboles de cet activisme sanitaire, les contrats conclus par la Commission européenne avec quatre laboratoires pharmaceutiques pour sécuriser l’accès des Européens au futur vaccin. Le dernier en date a été signé mercredi avec l’américain Pfizer et l’allemande BioNTech, qui ont annoncé lundi avoir mis au point un vaccin «efficace à 90%». «D’autres contrats viendront, car nous devons disposer d’un large portefeuille de vaccins basés sur différentes technologies», a affirmé Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission. Reste que les clauses de ces contrats, tenues secrètes, inquiètent le Parlement européen qui craint que la «big pharma», surfant sur la panique, ne fasse main basse sur l’argent public.
«Tout en même temps»
C’est la première fois dans l’histoire que les Etats membres confient à l’UE le soin de négocier leur approvisionnement en médicaments : jusque-là, ils considéraient que ces produits stratégiques relevaient de leur seule souveraineté. C’est Donald Trump qui a réveillé les Européens quand, à la mi-mars, la presse allemande a révélé que le président américain avait tenté d’acheter pour son pays l’exclusivité du vaccin que prépare le laboratoire de biotechnologie allemand CureVac. Les Vingt-Sept ont alors compris qu’isolés, ils n’avaient aucune chance de peser face aux Etats-Unis ou à la Chine. Ils ont donc demandé à la Commission de préparer une stratégie commune pour se fournir en vaccins. Dans une «communication» datée du 17 juin, la Commission propose de négocier des contrats d’approvisionnement directement avec les laboratoires pharmaceutiques. «Le fait que ce soit l’Union qui négocie nous permet d’être attractifs, de faire des économies d’échelle et d’être plus forts face à ces sociétés», souligne un porte-parole. En échange de cette garantie d’approvisionnement, l’Union européenne s’engage à financer une partie de leurs coûts de développement et de fabrication pour une somme de 2,1 milliards d’euros prélevés sur les 2,7 milliards de «l’instrument d’aide d’urgence».
Ces subventions publiques sont justifiées par le fait que l’UE demande aux laboratoires de produire un vaccin dans un délai de douze à dix-huit mois alors qu’en temps normal, le développement prend dix ans en moyenne, ce qui permet d’étaler les coûts dans le temps, des premiers tests à la fabrication en série en passant par l’autorisation de mise sur le marché. «On leur demande de tout faire en même temps, y compris de construire des chaînes de fabrication pour un vaccin qui ne verra peut-être pas le jour : dès lors, comme on n’est pas dans un monde «normal», il est logique qu’on prenne en charge une partie de leurs investissements et que l’on s’engage à acheter un certain nombre de doses», poursuit le porte-parole déjà cité. De plus, pour assurer la sécurité d’approvisionnement, ces vaccins devront impérativement être produits sur le territoire de l’UE, ce qui garantit de l’emploi.
Secret des affaires
La Commission a conclu un premier contrat en août avec AstraZeneca (400 millions de doses) puis avec le tandem Sanofi-GSK (300 millions), avec Johnson & Johnson (400 millions) et enfin avec Pfizer (300 millions), soit 1,4 milliard de doses pour l’instant. D’autres négociations sont en cours avec CureVac pour 225 millions de doses et Moderna pour 160 millions. Les vaccins seront ensuite achetés non par l’UE, mais par les 27 Etats, chacun ayant la garantie d’en recevoir en proportion de sa population.
S’il se réjouit de cette success story européenne, le Parlement européen lorgne avec circonspection les clauses couvertes par le secret des affaires. «On ne connaît pas le prix de la dose et la façon dont il a été fixé, la structure des coûts qui justifie l’aide du budget européen, le régime de responsabilité civile et celui de la propriété intellectuelle, s’inquiète le président de la commission environnement, sécurité alimentaire et santé, Pascal Canfin (Renew, LREM). Or on investit de l’argent public, ce qui implique de la transparence. Que les parties du contrat détaillant la composition du vaccin ou le procédé de fabrication soient secrètes, on peut le comprendre. Mais sur les quatre points que j’ai cités, non.»
De fait, on ne sait pas si l’UE aura droit à une partie des royalties des brevets développés grâce à son aide, ou au moins s’ils tomberont dans le domaine public plus rapidement qu’en temps normal (huit à onze ans), ou encore si les laboratoires seront bien responsables des éventuels effets secondaires des vaccins. La Commission, sur ce point, affirme que le droit commun s’appliquera, mais que chaque Etat pourra s’engager à prendre à sa charge les coûts des «défauts imprévisibles»… En clair, ce sera avec ceinture et bretelles pour les laboratoires. «Cette transparence est nécessaire si on veut que le vaccin soit socialement acceptable,estime Pascal Canfin. On s’est planté sur les masques, on s’est planté sur les tests, on ne peut se planter sur les vaccins.»
N.B.: article publié le 13 novembre
Pour quelques milliards de plus, les négociateurs du Parlement européen ont donné leur accord, après deux mois de discussions intenses, au cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027 négocié en juillet, au cours d’un sommet marathon de quatre jours, par les 27 chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union. Ce qui, par contrecoup, débloque le Fonds de relance qui autorise la Commission à emprunter 750 milliards d’euros sur les marchés pour les redistribuer aux Etats (390 milliards en subventions, le reste en prêts). Mais il faut encore que le Parlement européen et surtout les 27 parlements nationaux votent ce compromis, ce qui pourrait réserver une (mauvaise) surprise.
«Ressources propres»
Les eurodéputés ont réussi à arracher 16 milliards d’euros de plus pour le CFP, une goutte d’eau par rapport aux 1074 milliards que les Etats étaient prêts à débourser pour la période 2021-2027, un budget en net recul par rapport à celui de la période 2014-2020 (en partie à cause du Brexit).
C’est beaucoup moins que ce qu’ils espéraient (39 milliards après avoir demandé 100 milliards au début de la négociation), mais c’est plus que ce qu’ils ont pu obtenir dans le passé (rien en 2013, 4 milliards en 2006). Cette somme supplémentaire sera affectée à la recherche (4 milliards), à la santé (3,4 milliards), à Erasmus (2,2 milliards), à la surveillance des frontières extérieures de l’Union (1,5 milliard), etc.
Là où le Parlement a le plus obtenu, c’est sur la création de nouvelles «ressources propres» (ou impôts européens) qui présentent l’avantage de ne plus faire dépendre le budget européen des contributions de chaque Etat, une dépendance qui rend laborieuse les négociations budgétaires qui ont lieu tous les sept ans. Le Conseil européen en a créé une, qui a vocation à s’éteindre, la taxe sur les plastiques non recyclables d’un montant de 6 milliards pour 2021. Il a certes promis d’en créer d’autres, mais sans engagement contraignant. A l’issue de la négociation avec les députés européens, la Commission et les Etats se sont mis d’accord sur un calendrier précis, ce qui ne veut pas dire qu’in fine tous les parlements nationaux donneront leur accord à l’unanimité. «C’est seulement une obligation de moyens pour les Etats», résume un diplomate européen…
Assiette et amendes
Ainsi, d’ici à 2023, une partie du système d’échange de quotas d’émissions de CO2 (élargi aux transports aérien et maritime) devrait être affectée au budget européen (entre 3 et 10 milliards par an) et une taxe carbone aux frontières pour les produits ne respectant pas les critères environnementaux européens (pour un montant compris en 5 et 14 milliards par an) ainsi qu’une taxe sur les géants du numérique (1,3 milliard par an) devraient voir le jour.
D’ici à 2026, une taxe sur les transactions financières (TTF, au moins 3,5 milliards d’euros par an) et une partie de l’impôt sur les sociétés multinationales (12 milliards par an) si l’Union parvient à harmoniser l’assiette fiscale pourraient aussi voir le jour. Enfin, le montant des amendes infligées par la Commission aux sociétés qui violent le droit de la concurrence ne retournera plus dans les budgets nationaux, mais viendra alimenter le budget européen (environ 11 milliards par an).
En revanche, le Parlement n’a pas obtenu que les remboursements de l’emprunt de 390 milliards d’euros (13 milliards entre 2021 et 2027 puis 25 milliards par an ensuite) ne soient pas imputés sur le CFP actuel afin de ne pas diminuer le montant des politiques communautaires.
«Cela faisait partie du compromis politique conclu en juillet»,explique un diplomate français. Les Etats se sont seulement engagés à essayer de ne pas réduire le financement des politiques communautaires, ce que devrait permettre la création de nouvelles ressources propres qui viendraient abonder le budget européen.
Etat de droit
Au final, l’ensemble budgétaire de plus de 1 800 milliards d’euros conclu en juillet ressort plus équilibré de la négociation avec le Parlement qui a réussi à pérenniser son financement, du moins si les futurs impôts européens voient le jour. En attendant, il va falloir passer le cap des vingt-sept ratifications nationales. Or, la Pologne et la Hongrie ont menacé de ne pas ratifier cet accord si le règlement subordonnant le versement des subventions européennes au respect de l’Etat de droit n’était pas abandonné. Une conditionnalité que les pays «radins», qui n’ont accepté le Fonds de relance que du bout des lèvres, exigent. Varsovie et Budapest oseront-elles tout faire capoter au risque de se priver de l’argent du Fonds de relance ? Réponse d’ici à la fin de l’année.
N.B.: Article publié le 11 novembre
Pour Christophe Quarez, la difficulté de parvenir à un accord sur le plan de relance européen, pour faire face à la crise liée à la pandémie du coronavirus, a rouvert le débat sur le bien-fondé de l’unanimité requise pour toute réforme portant sur la fiscalité dans l’Union.