«Chez ces gens-là, monsieur, on ne pense pas […], on compte.» Quoi de plus adapté que de convoquer Jacques Brel pour décrire la dernière initiative du gouvernement belge, qui n’a rien trouvé de mieux que d’imposer, à compter de la rentrée, un péage de 50 euros par semestre à l’entrée des Conseils européens, soit 100 euros par an. Pour l’instant. On ne sait pas si les chefs d’Etat et de gouvernement devront s’acquitter de cette taxe, mais les diplomates, le personnel de service et surtout les journalistes, s’ils veulent avoir leur badge d’accès, devront passer à la caisse.
Pour le gouvernement dirigé par Charles Michel, il s’agit de faire supporter une partie des coûts de la sécurité des sommets européens qui incombent, pour l’instant, à la seule Belgique. Sachant qu’il y a en moyenne 1 300 journalistes et techniciens présents, cela représente la modique somme de 65 000 euros par semestre, 80 000 euros au grand maximum en comptant toutes les personnes imposées.
Il n’est venu à l’idée de personne qu’un tel péage, institué par une loi entrée en vigueur le 1er juin, constituait une atteinte à la liberté de la presse, comme l’ont aussitôt dénoncé l’Association générale des journalistes professionnels de Belgique et l’Association de la presse internationale : exiger des médias qu’ils payent pour pouvoir exercer leur métier est si énorme, et sans précédent dans une démocratie libérale, qu’on ne comprend pas comment une telle décision a pu être prise par les autorités belges. La Commission européenne, qui d’habitude sait se montrer compréhensive à l’égard du «pays hôte», a tapé du poing sur la table : «Cette loi belge ne nous plaît pas», a tancé Mina Andreeva, l’une des porte-parole de l’exécutif européen, qui a fait un appel du pied aux médias pour qu’ils portent plainte : «Les journalistes doivent pouvoir faire leur travail dans les meilleures conditions possibles.»
L’affaire est d’autant plus incompréhensible que c’est l’Etat belge qui a tout fait pour attirer à Bruxelles les institutions communautaires, et qui bataille encore pour que le siège du Parlement européen soit transféré dans sa capitale. Il sait tout le bénéfice qu’il en tire : la présence européenne pèse près de 15 % du PIB de la région de Bruxelles-Capitale. En comparaison, les coûts de la sécurité sont minimes. Le gouvernement de Charles Michel aurait aussi pu en demander la prise en charge par le budget communautaire si son pays en est à quelques dizaines de milliers d’euros près…
Cette taxe, au fond, est peut-être un signal adressé à l’UE : la Belgique ne voudrait plus de cette encombrante présence. Elle en a le droit. D’autres lieux sont possibles : rappelons qu’en 1957, il avait été envisagé d’installer le siège de l’Europe à Nice. Soulageons la Belgique de ces coûts sécuritaires iniques et déménageons au bord de la Méditerranée !
N.B.: édito paru dans Libération du 3 août.
Photo: DR