Donald Trump fait la démonstration, jour après jour, que les États-Unis restent la seule hyperpuissance en ce début de XXIe siècle. Le « monde multipolaire » que certains ont cru voir émerger après les fiascos afghan et irakien et la montée en puissance de l’Union européenne, de la Chine, de l’Inde ou du Brésil, se révèle pour ce qu’il est, un mirage. C’est même l’élection d’un président isolationniste à la Maison-Blanche qui montre, de façon totalement contre-intuitive, que l’Amérique reste, et restera pour longtemps, la puissance autour de laquelle le monde s’ordonne. La dénonciation, en mai, de l’accord sur le nucléaire iranien de 2015 et l’entrée en vigueur, mardi, d’une première salve de sanctions américaines (la seconde touchant le pétrole et le gaz suivra en novembre) contre Téhéran en fournit la démonstration.
Même si toutes les parties engagées dans l’accord iranien, l’Union, la Russie et la Chine affirment leur volonté de le sauver et leur « détermination à protéger les opérateurs économiques européens engagés dans des affaires légitimes avec l’Iran », selon les mots d’un communiqué européen, en réalité, tout le monde s’apprête à se plier à l’embargo décidé par Washington faute d’avoir les moyens de se couper du marché américain. En dépit des exhortations iraniennes contre Washington. « L’Amérique a constamment zigzagué, personne ne peut lui faire confiance», a déclaré mercredi le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif.
En effet, les États-Unis imposent unilatéralement leur droit au reste de la planète sans que celle-ci puisse y faire grand-chose : en clair, toute entreprise, tout État qui violerait l’embargo sera sanctionné par la justice américaine, comme BNP-Paribas, par exemple, en a fait la douloureuse expérience. Comme l’a rappelé Trump mardi matin dans l’un de ses célèbres tweet (majuscules d’origines), « quiconque fait des affaires avec l’Iran ne fera PAS d’affaires avec les États-Unis ». Tout aussi direct, l’ambassadeur américain à Berlin a enjoint aux entreprises allemandes de ne plus commercer avec l’Iran puisque « M. Trump en a ainsi décidé ».
Bref, sauf à se retirer totalement des États-Unis, qui reste la première puissance économique, financière, diplomatique, militaire du monde, les entreprises étrangères n’ont pas d’autre choix que de se retirer d’Iran, ce qu’ont déjà fait Siemens, Daimler, Airbus, Total, PSA, Renault, Maersketc… Il en ira de même pour les banques qui ne pourront plus assurer des transactions avec l’Iran en utilisant des dollars, même s’il s’agit d’entreprises n’ayant aucun intérêt aux États-Unis.
En riposte à cet unilatéralisme illégal au regard du droit international, l’Union a certes réactivé mardi son règlement dit de « blocage » de 1996 qui n’a jusqu’à présent jamais servi. En substance, il interdit aux entreprises européennes, sauf dérogation accordée par la Commission, de se plier à l’embargo américain sous peine de sanctions « dissuasives et proportionnées ». Il leur ouvre aussi un droit à indemnisation : si elles sont sanctionnées aux États-Unis, elles pourront poursuivre le gouvernement américain devant la justice des États membres. Enfin, toute décision judiciaire américaine fondée sur ces sanctions sera privée d’effet sur le territoire européen.
Un tel dispositif qui semble très dissuasif à première lecture n’a en réalité aucune chance de s’appliquer, faute de volonté politique des États membres et des institutions communautaires. Car cela suppose d’entrer dans une véritable guerre contre les États-Unis. Imagine-t-on Total ou Daimler poursuivre le gouvernement américain et les États saisir les biens américains en Europe pour indemniser leurs entreprises ? Imagine-t-on même la Commission sanctionner Siemens ou Airbus ?
Déjà, on a pu toucher du doigt la détermination de l’Union sur le front commercial ouvert par Trump. Si elle a tenu bon sur l’acier et l’aluminium, imposant des mesures de rétorsions sur une série de produits américains, le front européen a explosé lorsque Trump a menacé de taxer les importations d’automobiles européennes (comprenez allemandes) : aussitôt, Jean-Claude Juncker, le président de l’exécutif européen, accompagné de son fidèle second, l’Allemand Martin Selmayr, s’est rendu à Washington pour faire droit aux revendications américaines. L’Union va donc s’engager dans une négociation commerciale sur les sujets qui intéressent les Américains sans avoir obtenu la suspension des droits de douane sur l’acier et l’aluminium et sans aucune assurance que les automobiles échapperont à des surtaxes si les négociations n’aboutissent pas au résultat espéré par Trump. C’est ce qui s’appelle négocier avec un pistolet sur la tempe, ce que les Européens avaient « fermement » écarté dans un premier temps…
Face à la brutalité américaine, l’Union n’est pas seule à capituler : la Russie a beau inciter « la communauté internationale » à ne pas « accepter que des réussistes importantes d’une diplomatie multilérales soient sacrifiées par la volonté américaine de régler ses comptes avec l’Iran », elle pliera elle-aussi devant Washington, comme le montre le retrait annoncé d’Iran du russe Lukoil… La Chine elle-même ne remplacera pas les Européens ou les Russes de peur de se voir priver de son principal marché à l’exportation.
L’Union qui a cru, après l’élection de Trump, qu’elle pourrait devenir, avec la Chine, l’ancre d’un nouvel ordre mondial doit déchanter. Les États-Unis ont les moyens, et pour de longues années encore, d’ordonner ou plutôt de désordonner le monde sans en référer à quiconque.
N.B.: version longue de l’article paru dans Libération du 9 août
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