Lors d’un sommet de l’Otan à Watford (Angleterre), le 4 décembre 2019. Photo Francisco Seco. AP
L’Union européenne doit-elle se réjouir de l’élection de Joseph Robinette Biden ? Après quatre ans de fureur et de folie trumpienne qui ont mis à bas l’un des piliers de la politique étrangère américaine, la relation privilégiée avec le Vieux Continent, la question peut paraître étrange. Car, après tout, l’arrivée à la Maison Blanche d’un président démocrate formée à la vieille école, n’est-ce pas l’assurance d’un retour à la normale dans les relations transatlantiques ? De fait, ce n’est probablement pas Joe Biden qui qualifiera l’Otan d’organisation «obsolète» et désignera l’Union comme «principal ennemi», au moins sur le plan commercial, des Etats-Unis, comme l’a fait Donald Trump.
«Pas le choix»
La plupart des Etats membres de l’Union ont eu le plus grand mal à s’adapter à cette nouvelle réalité géopolitique : ils n’avaient jamais imaginé que la garantie militaire américaine ne serait plus automatique comme elle l’était depuis 1945, que les Etats-Unis souhaiteraient à voix haute la destruction de l’Union, déclareraient une guerre commerciale à l’Europe, saperaient les institutions internationales comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou encore mettraient fin aux efforts de désarmement ou à la lutte contre le changement climatique.
Sous les coups de boutoir de Trump, les Européens ont fini par se résoudre, à l’impulsion d’une France qui, héritage gaulliste oblige, n’a jamais entretenu d’illusions sur le soutien sans faille des Américains, à remettre sur le métier la construction d’une politique étrangère commune et d’une défense européenne, à l’exemple des coopérations franco-allemandes dans le domaine du char et de l’avion de combat du futur.
Ils se sont enfin mis à défendre leurs intérêts stratégiques et commerciaux, tant vis-à-vis de la Chine ou de la Russie que des Etats-Unis, et ont pris le leadership de la transition écologique. «Trump ne nous a pas laissé le choix : il fallait que nous nous organisions et nous l’avons fait depuis deux ou trois ans», se réjouit un diplomate européen.
«Petit nuage»
C’est ce lent et difficile cheminement vers l’autonomie que l’élection de Biden risque d’interrompre si l’on en juge par le «petit nuage»,selon l’expression d’un diplomate, sur lequel flottent la plupart des capitales européennes qui n’ont jamais fait leur deuil du confortable parapluie américain, l’Allemagne et les Pays-Bas en tête.
La tentation est forte de considérer que Trump n’a été qu’une parenthèse. La tribune publiée par la ministre allemande de la Défense, la démocrate-chrétienne Annegret Kramp-Karrenbauer («AKK») dès la veille de l’élection, le 2 novembre, sur le site de Politico Europe, est révélatrice de cette tentation. Pour elle, «les illusions d’autonomie stratégique européenne doivent prendre fin : les Européens ne pourront pas remplacer le rôle crucial de l’Amérique en tant que fournisseur de sécurité».
Un avis largement partagé par le ministre des Finances social-démocrate Olaf Scholz, qui voit dans l’élection de Biden l’occasion «d’ouvrir un nouveau chapitre transatlantique». «C’est le retour du refoulé transatlantique de l’Etat profond allemand», se désole-t-on à Paris.
«Défense de leurs intérêts nationaux»
De fait, croire que tout va redevenir comme avant est un piège. D’une part, Trump n’a fait qu’accélérer des évolutions déjà largement entamées sous Obama, du désengagement militaire américain au virage vers l’Asie. D’autre part, «le trumpisme n’est pas mort avec le départ de Donald Trump», explique à LibérationClément Beaune, le secrétaire d’Etat français aux Affaires européennes, la vague bleue (couleur du Parti démocrate) attendue n’ayant pas eu lieu.
En clair, «le trumpisme va continuer à irriguer l’agenda américain», poursuit Clément Beaune, que ce soit «l’obsession sur la Chine», le redimensionnement de l’Alliance atlantique ou encore la défense sans concession des intérêts commerciaux américains.«Les Etats-Unis ne vont pas redevenir une garantie tant sur le plan militaire que commercial», juge un diplomate européen, même si la nouvelle administration sera plus multilatéraliste et cessera de se comporter en «ennemi» de l’Union, ce qui facilitera les relations entre les deux rives de l’Atlantique.
Mais «la défense de leurs intérêts nationaux restera en tête de l’agenda américain», souligne un diplomate. Ainsi, il «serait illusoire de croire que Biden va changer la donne en Méditerranée orientale», poursuit-il. De même, sur le plan commercial, s’il devrait démanteler en douceur les sanctions frappant les produits européens, il défendra, tout comme Trump, les Gafam contre la tentation de l’Union de les taxer, devrait s’opposer à une «taxe carbone» aux frontières de l’Union qui frapperait les produits ne respectant pas l’accord de Paris et poursuivra le bras de fer contre la Chine dans lequel il essaiera d’embarquer l’Union. Si les Européens désarment, le réveil dans quatre ans sera douloureux.
N.B.: article paru le 10 novembre
Les États membres de l’Union qui ne respectent pas l’État de droit risquent de se voir privés de tout ou partie des subventions européennes. Jeudi, le Parlement de Strasbourg est parvenu à arracher à l’Allemagne, qui exerce la présidence semestrielle tournante du Conseil des ministres (l’organe où siègent les États), un très net durcissement du projet de règlement instituant, pour la première fois, cette conditionnalité au versement de l’argent versé tant par le budget communautaire (1074 milliards d’euros pour la période 2021-2027) que par le fonds de relance (750 milliards d’euros).
«Zéro euro»
«C’est simple : pas d’État de droit, zéro euro» avait lancé Emmanuel Macron aux pays d’Europe de l’Est lors de la négociation de ce paquet budgétaire en juillet dernier. Mais devant les menaces de blocage de Budapest et de Varsovie, la présidence allemande a dû édulcorer le texte proposé par la Commission en 2018 en le limitant aux risques de corruption pesant sur l’utilisation des fonds communautaires. Insuffisant pour le Parlement qui a finalement obtenu gain de cause en menaçant les Vingt-sept de ne pas donner son accord au cadre financier pluriannuel (CFP 2021-2027). Certes, le projet de règlement est toujours limité à la protection des intérêts financiers de l’Union et non à celle des valeurs européennes en général.
En clair, un pays qui interdirait l’avortement ou l’égalité hommes femmes, par exemple, ne serait pas concerné puisqu’il faut que la violation de l’État de droit ait une incidence sur la bonne utilisation de l’argent européen. Ce serait, par exemple, le cas de pays qui violent le principe de séparation des pouvoirs ou l’indépendance du pouvoir judiciaire, empêchent par tous les moyens le bon déroulement des enquêtes, n’exécutent pas les jugements ou encore ne sanctionnent pas la corruption. La suspension des fonds devra être décidée par le Conseil des ministres sur proposition de la Commission à la majorité qualifiée, soit 55% des États (15 sur 27) pesant 65 % de la population, ce qui enlèvera tout pouvoir de blocage à une coalition formée par les seuls pays d’Europe de l’Est…
«Veto ou la mort»
Mais rien n’est encore gagné : même si ce projet peut être adopté à la majorité qualifiée, les pays qui sont dans le viseur des eurodéputés, la Pologne et la Hongrie en particulier, ont menacé, si ce texte n’était pas retiré, de poser leur véto à une autre partie de cet ensemble budgétaire, les nouvelles ressources propres ou impôts européens qui doivent, elles, être adoptées à l’unanimité. Dans ce cas, c’est l’ensemble du paquet budgétaire négocié en juillet dernier qui serait bloqué. Et le ton n’est pas à la conciliation, c’est le moins que l’on puisse dire : «VETO ou la mort : c’est le mot d’ordre symbole de défense de la souveraineté polonaise face aux ambitions non démocratiques et idéologiques des eurocrates» a ainsi tweeté le vice-ministre polonais Janusz Kowalski. Reste qu’un blocage complet coûterait cher aux pays d’Europe de l’Est : certes, le budget provisoire 2021 qui pallierait le blocage du CFP leur garantirait de recevoir les subventions habituelles (14 milliards pour la Pologne, 5 milliards pour la Hongrie), mais ils ne percevraient pas les fonds du plan de relance (23 milliards pour Varsovie et 6 milliards pour Budapest).
Le reste de la négociation budgétaire devrait être bouclé ce lundi ou ce mardi : le Parlement européen devrait obtenir entre 12 et 15 milliards supplémentaires pour le budget européen (il en demandait 39) et surtout un calendrier précis pour la création de nouvelles ressources propres (taxe carbone aux frontières, taxes Gafam, etc.) afin que le financement de l’Union dépende moins des contributions nationales qui donnent lieu à des chamailleries sans fin. Mais la saga budgétaire devrait jouer les prolongations jusqu’à la fin de l’année voire au-delà si la Pologne et la Hongrie mettent leurs menaces à exécution.
N.B.: article paru le 9 novembre