Voici la version longue de mon enquête parue dans Libération du 15 mars avec des révélations supplémentaires.
Bruxelles, lundi 17 décembre 2018, 7h30. Laura Pignataro demande à Lorenza B., l’amie chez qui elle loge depuis quelques jours, d’accompagner sa fille de 14 ans à l’arrêt du bus pour l’école. Elle ne sent pas bien, se justifie-t-elle. Dès que les deux femmes se sont éloignées, Laura monte au dernier étage du bâtiment et se jette dans le vide. Elle meurt sur le coup. La police belge conclue rapidement à un suicide. Un de plus dans un pays particulièrement touché par ce fléau (entre 140 et 200 par an à Bruxelles). Laura laisse derrière elle sa fille, qui vit désormais chez son frère Andrea à Milan, et son mari, Michel Nolin, un Français. Pourquoi cette Italienne de 50 ans s’est-elle suicidée ? Personne ne le saura jamais avec certitude, puisqu’ellen’aurait laissé aucun mot pour expliquer ce geste définitif et sans appel qui a laissé tout son entourage familial et professionnel totalement désemparé.
Fin de l’histoire ? Pas tout à fait. Car Laura Pignataro était quelqu’un qui comptait dans la « bulle européenne ». Cette brillante juriste italienne, fille d’un haut magistrat, formée en Italie, aux Etats-Unis, en France et en Espagne, faisait partie du groupe très fermé des hauts fonctionnaires de la Commission : directrice, l’une des trois plus hautes fonctions de la fonction publique européenne (juste après celles de directeur général et directeur général adjoint), elle travaillait depuis 1992 à la Commission et depuis 1995 au sein de son prestigieux service juridique (SJ). En juin 2016, elle a été promue à la tête de la direction des ressources humaines du SJ, en clair de veiller à la légalité des nominations. C’est cette fonction qui lui a fait jouer un rôle clef dans la gestion de l’affaire Martin Selmayr, du nom de l’ancien chef de cabinet allemand de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, propulsé, en février 2018, en violation des règles du statut de la fonction publique européenne, au poste de secrétaire général de l’institution, la tour de contrôle par laquelle tout passe (ou trépasse).
«Panique en interne»
Un scandale, révélé par Libération, qui n’en finit pas de provoquer des vagues : après avoir dénoncé un véritable « coup d’Etat » en avril 2018, le Parlement européen a exigé le 13 décembre la démission de Selmayr par une écrasante majorité de 71 % des voix. Emily O’Reilly, la médiatrice européenne, à la suite d’une enquête accablante, a confirmé, le 4 septembre, la violation « de l’esprit et de la lettre » des règles de l’Union, la procédure de nomination ayant été « manipulée ». Celle-ci a confirmé, dans un second rapport publié le 11 février, son appréciation de la gravité de l’affaire. Qu’importe ! Pour la Commission « tout a été fait dans les règles » et elle exclut toute démission de Selmayr.
Le suicide de Laura Pignataro n’est pas anodin. C’est un rouage essentiel de l’affaire qui a disparu. Tout commence pour la directrice du SJ le 28 février 2018 lorsque la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen, devant l’ampleur du scandale médiatique, ouvre une enquête sur le « Selmayrgate ». Elle envoie dans la foulée une liste de 134 questions à la Commission. « Ca a été la panique en interne », raconte un eurocrate (1) : « le problème est que le service juridique n’a pas été saisi de la nomination de Selmayr en amont comme cela aurait dû être le cas, ce qui aurait permis de verrouiller sa nomination. Tout a été réglé entre le cabinet du président et la direction générale des ressources humaines dirigée par la Grecque Irene Souka, une fidèle de Selmayr, car ils savaient que le SJ se serait opposé à cette magouille ».
Justifier l’injustifiable
Mais là, pas d’autre choix que de l’appeler en renfort pour limiter les dégâts : Selmayr lui demande de justifier juridiquement une nomination purement politique qui n’a pas respecté les procédures internes. La tâche s’annonce impossible. Comment justifier que Juncker et Selmayr aient gardé le secret pendant plus de deux ans sur le départ à la retraite anticipée que projetait le secrétaire général sortant, le Néerlandais Alexander Italianer ? Pourquoi sa retraite n’a été annoncée que le mercredi 21 février en pleine réunion du collège des 28 commissaires quelques minutes après la nomination au poste de secrétaire général adjoint de Martin Selmayr ? Est-ce que le fait que celui-ci ait été promu dans la foulée secrétaire général sur proposition de Juncker par les commissaires n’a pas été prévu à l’avance ? Comment expliquer une telle promotion expresse sans appel à candidatures, du jamais vu dans l’histoire de la Commission, surtout pour quelqu’un qui n’a jamais dirigé un service de sa vie puisqu’il a fait toute sa carrière comme porte-parole puis comme chef de cabinet ? Sur quel texte se fonder pour éviter que l’on pense que sa nomination comme secrétaire général adjoint n’avait qu’un but, être en position de décrocher le graal de la direction du secrétariat général ?
Une réunion pour rédiger les réponses est convoquée le samedi 24 mars à 14h30 par le cabinet Juncker. Sont assis autour de la table : l’Espagnol Luis Romero, directeur général du service juridique, l’Allemand Bernd Martenczuk, son assistant, Laura Pignataro, l’Espagnole Clara Martinez Alberola, cheffe de cabinet du Juncker, l’Estonienne Marit Sillavee, assistante de Selmayr, l’Allemand Michael Hager, chef de cabinet du commissaire chargé du personnel, Gunther Oettinger, la Grecque Irene Souka, directrice générale chargée des ressources humaines, accompagnée de deux de ses adjoints, et l’Autrichien Alexander Winterstein, porte-parole adjoint. Au beau milieu de la réunion, Martin Selmayr, accompagnée de son âme damnée, Mina Andreeva du service du porte-parole, entrent dans la salle. Aussitôt, Romero se lève et quitte la salle. Car l’arrivée du secrétaire général dans une réunion consacrée à élaborer sa défense constitue un conflit d’intérêts majeur. L’article 11 bis du statut des fonctionnaires dispose en effet que « dans l’exercice de ses fonctions, le fonctionnaire ne traite aucune affaire dans laquelle il a, directement ou indirectement, un intérêt personnel ». Plutôt que de partir, Romero aurait dû exiger que Selmayr quitte la salle, ce qu’il n’a pas fait. Et Pignataro n’a pas osé le suivre de son propre chef : « Romero l’a froidement laissé tomber. Il l’a laissé seule », analyse un fonctionnaire qui a été impliqué dans l’enquête sur le Selmayrgate. Le fait qu’elle ait été nommée à son poste en juin 2016 par… Selmayr lui-même (le SJ dépend du cabinet du président) explique aussi sans doute qu’elle soit restée. C’est Selmayr, juriste lui-même, qui va dicter au service juridique les réponses à apporter… La réunion se termine à 3 heures du matin.
Comme il fallait s’y attendre, les eurodéputés ne sont absolument pas convaincus par l’argumentaire de la Commission qu’ils jugent boiteux. Ils rédigent un second jeu de 61 questions. Les réponses sont préparées le lundi de Pâques, le 2 avril, par la même équipe et, comme la première fois, Selmayr débarque accompagné d’Andreeva. « Laura, en sortant de ces réunions, était dans une colère noire : elle savait qu’elle avait participé à prise illégale d’intérêts », confie l’un de ses amis. « C’est une juriste exagérément loyale à l’institution, quelqu’un qui n’est pas politique du tout. Elle a vite compris que la nomination de Selmayr était illégale, mais elle a essayé de sauver ses fesses en justifiant une violation de la loi. Lors de cette seconde réunion, elle lui a même dit que ce qu’elle faisait était un scandale, mais qu’elle le faisait pour l’institution ». Le Parlement reste insensible aux trésors d’imagination déployés par Selmayr et son équipe pour justifier l’injustifiable. Dans une résolution largement votée le 18 avril, il qualifie sa nomination de « coup d’Etat » et demande que la nomination de Selmayr soit « réévalué ». La Commission refuse tout net.
«Gorge profonde»
En mai, c’est au tour de la médiatrice européenne, saisie par les socialistes français, d’entrer dans la danse. Elle commence son enquête dans une atmosphère tendue. Son équipe peut consulter des documents, mais à condition de laisser leur smartphone à l’entrée et elle doit travailler sous la surveillance du service de sécurité. Emily O’Reilly demande l’accès au serveur de la Commission, ce qui lui est refusé. Elle exige alors, en juillet, la transmission de tous les courriels concernant la nomination de Selmayr. Nouveau refus. Mais, là, Laura Pignataro passe outre de son propre chef : elle estime de son devoir de répondre aux demandes de la médiatrice et devient ainsi sa « gorge profonde ». « Je ne peux pas lui mentir, c’est impossible, j’ai donné tous les dossiers à la médiatrice, m’a-t-elle raconté », rapporte l’un de ses proches.
Selmayr n’apprend pas immédiatement la « trahison » de celle qu’il considère comme son bouclier juridique. Preuve de sa confiance maintenue, il la charge dans le plus grand secret, durant l’été, de préparer les contours de la future ambassade de l’Union à Londres, alors que ce n’est absolument pas son rôle. Selmayr, qui se verrait bien ambassadeur au Royaume-Uni s’il ne survit pas au départ de Juncker, imagine un véritable ministère doté de plus de 200 fonctionnaires... Le service européen d’action extérieure (SEAE) dirigé par Federica Mogherini chargé de gérer les ambassades de l’Union n’apprécie pas qu’on marche ainsi sur ses plates-bandes, selon des sources diplomatiques. Le 17 décembre, le jour du suicide de Laura Pignataro, Helga Schmid, la secrétaire générale du SEAE envoie une lettre désagréable à Selmayr dans laquelle elle lui demande sèchement de s’occuper de ses oignons. Déjà, en juillet, le SEAE a réussi à empêcher la prolongation du mandat de l’ambassadeur de l’Union à Washington, l’Irlandais David O’Sullivan, jusqu’en mars 2020, Selmayr ayant un temps envisager de s’y faire parachuter (une tentative révélée par Libération).
Le rapport de la médiatrice, publié en septembre est accablant : il apparait clairement que sa nomination comme secrétaire général a été préparé dès le mois de janvier et qu’elle n’a jamais fait aucun doute pour ceux qui ont été impliqué et ont fait semblant de participer à une procédure de recrutement totalement bidonnée dès le départ. Tout y est : les mails internes, les documents word modifiés heure par heure… Selmayr comprend à ce moment-là que Pignataro est à l’origine des fuites. Il la charge de répondre à la médiatrice et lui impose de n’en parler à personne. La voilà de nouveau obligée de mentir. Le secrétaire général l’appelle parfois au milieu de la nuit pour lui donner ses directives… Les réponses sont publiées le 4 décembre.
Laura Pignataro n’en peut plus de tordre ainsi le droit et de mentir. Le 12 décembre, selon des confidences qu’elle a faite à des personnes de son entourage, elle affirme qu’elle se serait « trompée de carrière ». « Je suis finie. Tu ne peux pas imaginer ce que j’ai été obligé de faire ces dernières semaines ». Selon cette source, « elle avait l’air terrifiée par l’hostilité de Selmayr ». Le lendemain,l’un de ses proches raconte, que « ses propos étaient devenus incohérents, elle lui a expliqué qu’elle n’avait pas enregistré ses présences et que sa carrière était finie ». Quatre jours plus tard, elle saute dans le vide.
Pas de condoléances pour Laura
Le directeur général du service juridique, Luis Romero, apprend son suicide lors d’une réunion avec ses directeurs à 9h25. Il ne leur dit rien. Il demande simplement : « que savez-vous de Laura ? » Puis il quitte la réunion. Les eurocrates du SJdécouvriront le drame par un message publié sur l’intranet du SJ et non sur le fil général : « Luis Romero a le regret de devoir nous faire part de la triste nouvelle du décès de Laura Pignataro ».
Le pire est à venir : ni Martin Selmayr, ni Gunther Oettinger, le commissaire chargé de l’administration, ni Jean-Claude Juncker ne viendront voir le personnel du service juridique. Et aucun d’eux ne jugera utile d’envoyer ses condoléances à la famille, ni d’assister (ou de se faire représenter officiellement) à la crémation qui a lieu le 21 décembre à Bruxelles. En revanche, « ce jour-là, tous les fonctionnaires ont reçu un message de Selmayr nous souhaitant de bonnes fêtes. On était tous choqués », raconte l’un de ses amis. Même absence le 31 janvier lors de la cérémonie organisée en sa mémoire… Pourtant Selmayr connaissait personnellement Laura Pignataro, puisqu’il la nommée à son poste et a travaillé avec elle durant dix mois. Et tout le monde se rappelle que Juncker n’a pas hésité à assister, le 27 octobre 2016, aux obsèques de Maria Ladenburger, la fille d’un conseiller juridique de la Commission, violée et assassinée par un demandeur d’asile afghan. Là, juste l’indifférence.
Dès sa mort connue, les services de sécurité de la Commission mettent son bureau sous clef. Alors que l’enquête de la police belge est bouclée en quelques jours, il l’est encore à ce jour. Une pratique tout à fait inhabituelle selon nos informations. L’exécutif européen refuse de dire si une enquête interne a été menée pour connaitre les raisons de ce suicide : burn out ? Harcèlement moral ? Problèmes personnels ? Des questions que toute entreprise devrait se poser d’autant que le service juridique a connu six suicides en 12 ans (sur environ 250 personnes). « La Commission est l’un des plus mauvais employeur sur terreur. Humainement, c’est un endroit horrible », confie un directeur de l’institution. Selmayr déclarait d’ailleurs à Libération en décembre 2017 : « on exagère beaucoup ma brutalité, alors que la brutalité fait partie intégrante de cette maison ».
Selmayr récompense ses amis
A nos question, Alexander Winterstein, le porte-parole adjoint, a sèchement répondu : « c’est une question entièrement privée. Je n’ai aucun commentaire à faire ». Nous envoyons un second jeu de questions. La réponse, rédigée après que nous nous soyons entretenu avec un Luis Romero dévasté, est nettement plus humaine : « Laura Pignataro était une excellente et brillante juriste et une collègue très appréciée au sein de la Commission européenne. Son décès a été un choc pour tous les collègues qui ont eu le privilège et la chance de la connaitre et de travailler avec elle ». Mais rien sur l’absence de condoléance ou l’éventuel harcèlement moral dont aurait pu être victime Laura Pignataro : « nous ne souhaitons pas commenter sur (ces) spéculations sans fondement que tu soulèves dans ton message ».
Des raisons autre que professionnelles pourraient-elles expliquer son geste ? Ceux que nous avons pu interroger décrive une femme aimant la vie, ambitieuse, croquant la vie à belles dents, sportive accomplie (plongée, tennis, ski alpin). « Son geste est difficile à comprendre, elle était gaie, forte et énergique », se rappelle l’un de ses anciens patrons, Giulano Marenco, directeur général adjoint du service juridique aujourd’hui à la retraite : « elle ne donnait pas l’impression d’être dépassée par quoi que ce soit ». On sait que sa situation personnelle était compliquée. Son mari, Michel Nolin, un Français fonctionnaire du service juridique, bataillait depuis de longues années contre la Commission, car il estimait ne pas avoir eu la carrière qu’il méritait. Il a même porté plainte devant la Cour de justice (et a perdu). Or, sa femme a été nommée à un poste où elle risquait de devoir traiter du cas de son mari, position pour le moins inconfortable. Les relations du couple s’étaient tellement dégradées qu’elle s’était d’ailleurs réfugié chez son amie avec sa fille quelques jours avec son acte fatal. Sa fille n’a d’ailleurs pas été confié au père, mais au frère de Laura, Andrea…
Le poste de Pignataro a été publié le 4 mars, presque trois mois après sa mort. On sait déjà que Selmayr va nommer l’un de ses fidèles, Allemand comme lui. Le nouveau directeur aura le premier accès à l’ordinateur de Laura Pignataro. En attendant, le secrétaire général sait se montrer fidèle à ceux qui l’ont servi : la directrice générale chargée des ressources humaines, Irène Souka, qui a été un rouage essentiel dans la nomination du secrétaire général a vu, en décembre dernier, son départ à la retraite retardée jusqu’en 2020, avec son mari, Dominique Ristori, DG chargé de l’énergie, alors qu’ils ont déjà bénéficié d’un report d’un an le 21 février 2018, le jour de la nomination du secrétaire général. Même chose pour le fonctionnaire néerlandais Henk Post qui a géré au jour le jour le parcours de Selmayr : à deux ans de la retraite, il vient d’être nommé conseiller spécial avec le grade de directeur général, ce qui lui assurera de très confortables revenus.
(1) Toutes nos sources ont requis l’anonymat
Dessin de Vadot rien que pour ce blog. Merci à ce talentueux dessinateur!
Comme le sparadrap du capitaine Haddock dans « l’affaire Tournesol », la Commission européenne n’arrive pas à se débarrasser du « Selmayrgate ». Loin de s’éteindre, la polémique sur la nomination de l’Allemand Martin Selmayr, l’ancien chef de cabinet de Jean-Claude Juncker, au poste de secrétaire général de l’exécutif européen n’en finit pas de faire des vagues à Bruxelles. Qualifiée de « coup d’Etat » par le Parlement européen en avril dernier, cette promotion a aussi été jugée illégale par la médiatrice européenne, l’Irlandaise Emily O’Reilly, dans un rapport du 4 septembre qui décrit dans les moindres détails la façon dont Selmayr a sciemment violé les règles du statut de la fonction publique européenne pour s’emparer du plus haut poste de l’administration communautaire.
Mais la Commission reste droit dans ses bottes : elle continue à affirmer qu’elle a respecté toutes les règles et a envoyé sèchement paitre tant le Parlement que la médiatrice. Les eurodéputés, furieux, ont fini par exiger sa démission le 13 décembre par 71 % des voix et la médiatrice, dans un rapport final daté du 11 février, maintient l’ensemble de ses accusations. Autant dire que la fin du mandat de Juncker, qui s’achève le 31 octobre, est gravement terni par cette affaire de prévarication et que le prochain président de la Commission devra sans doute s’engager à se débarrasser de cette encombrant personnage. Emily O’Reilly a répondu aux questions de Libération.
Pourquoi l’affaire Selmayr est-elle grave ?
Martin Selmayr est une personnalité emblématique de la Commission à qui le Président Juncker accorde une grande confiance. Or les conditions rocambolesque de sa nomination comme secrétaire général, que Libération a révélé, ont alimenté le narratif des populistes et des eurosceptiques qui affirment que l’Union européenne est une bureaucratie anonyme et élitiste éloignée des peuples. Il est frappant de constater que cette affaire a largement dépassé la « bulle bruxelloise » pour intéresser le monde entier.
Pourtant, la Commission affirme que ce n’est pas la première fois que l’on nomme de cette façon un secrétaire général.
Les faits parlent d’eux-mêmes. Le milliers de pages que nous avons examiné montrent que Martin Selmayr n’avait pas l’ancienneté suffisante pour être nommé directement secrétaire général, contrairement à tous ses prédécesseurs à ce poste. Aussi, la Commission a organisé sa promotion comme secrétaire général adjoint dans le seul but de le nommer quelques minutes plus tard secrétaire général. Nous avons découvert au moins quatre irrégularités juridiques dans le processus de nomination et c’est beaucoup.
La Commission n’a pourtant reconnu aucune erreur ou manipulation…
D’habitude, lorsque nous discutons d’un cas avec la Commission, même lorsqu’il s’agit d’un cas difficile, nous parvenons toujours à trouver un point d’accord. Il n’y a pas un rejet total à accepter les faits que nous leur présentons comme cela est le cas depuis le début de l’affaire Selmayr. Cette attitude n’a aucun précédent alors qu’elle est seule à refuser de voir la réalité : le Parlement, les médias et moi-même avons tous constaté la même chose, sauf la Commission ! Elle se comporte comme une mère qui regarde son fils militaire défiler et s’exclame : « regardez, aucun ne suit la cadence à l’exception de mon fils ». Il est frappant qu’en dehors de la Commission, personne n’ait réfuté ou contesté les résultats de notre enquête.
Martin Selmayr n’aurait-il pas dû démissionner ?
Ce n’est pas à moi de le dire. Je constate simplement que la Commission affirme qu’elle a respecté l’esprit de la loi, ce qui n’est absolument pas le cas. Les dispositions du statut des fonctionnaires européens pour pourvoir le poste de secrétaire général n’ont pas été respectées, c’est un fait. En le niant, elle se décrédibilise. Il est regrettable que la Commission ait adoptée cette attitude, car cela nuit aux missions de l’institution que l’on doit servir, qui sont de protéger l’intérêt général, et à son image auprès des citoyens. Je n’ai aucun doute sur le fait qu’une grande partie des fonctionnaires de la Commission partagent mon avis.
Ce qui me sidère dans l’attitude de la Commission est que la recommandation que j’ai faite n’était pas très difficile à suivre. Je n’ai pas prescrit le départ de Martin Selmayr, j’ai simplement proposé qu’elle procède différemment la prochaine fois. Il était donc relativement facile pour eux de répondre : « nous avons retenu la leçon et la prochaine fois, nous agirons différemment après avoir parlé au parlement et au conseil des ministres et blablabla ». Mais non. Ils se sont braqué et ont tout rejeté en bloc, les faits et les recommandations. Cela étant, on peut perdre une bataille et gagner la guerre : je pense qu’à l’avenir, on ne pourra plus nommer un secrétaire général dans de telles conditions. Le tollé causé par cette affaire, la colère exprimée, la façon dont cela a été utilisée pour nuire à la réputation de la Commission et de l’Europe, cela ne peut pas être ignoré. Je suis persuadé que la sanction, c’est la révélation de ce qui s’est passé, ce qui empêchera qu’on agisse ainsi à l’avenir.
L’affaire Selmayr n’est pas isolée : toutes les institutions procèdent à des nominations politiques en tordant les règles…
Mon travail consiste à amener un changement culturel. Si la Commission finit par accepter de changer ses modes de nomination des hauts fonctionnaires, cela va avoir un impact sur le parlement et le conseil des ministres. Ainsi, lorsque José Manuel Barroso, l’ancien président de la Commission, a été embauché par Goldman Sachs, cela a provoqué une prise de conscience des conflits d’intérêts qui existaient depuis longtemps et a poussé les institutions à durcir les règles pour les prévenir. D’autant que ce genre de scandales amène les citoyens à s’intéresser davantage à l’Union. Lorsque je voyage, je constate que les gens savent maintenant qui sont M. Selmayr et M. Juncker. Quand je rentre chez moi, les gens s’intéressent à ce que je dis. Cette prise de conscience de ce qui se passe dans la bulle européenne constitue une pression bienvenue en faveur des réformes.
Finalement, Martin Selmayr a peut-être rendu service à l’Union?
Et sans aucun doute, il s’en attribuera le mérite ! (rires)
Photo: Photo Albert Facelly
N.B.: version longue de l’article paru dans Libération du 8 mars
En s’adressant directement aux « citoyens d’Europe », Emmanuel Macron prend acte de son isolement politique dans l’Union. Un an et demi après son discours-programme de la Sorbonne, en septembre 2017, le constat ne peut plus être esquivé : aucun gouvernement ne soutient ses ambitieux projets de réforme d’une Europe que le chef de l’État juge « amollie » et « en danger ». Le président le plus europhile que la France se soit donné depuis François Mitterrand a vu son élan se briser dans les sables mouvants merkeliens. Sa lettre aux Européens se lit donc comme une manœuvre audacieuse ou désespérée de se relancer sur le théâtre communautaire en passant par-dessus la tête des classes politiques nationales.
Le cœur de sa tribune n’est pas l’énumération de ses projets, qui n’ont quasiment aucune chance de voir le jour en l’état, mais dans son appel final aux citoyens. Il demande, en effet, la mise en place d’une « Conférence pour l’Europe afin de proposer tous les changements nécessaires à notre projet politique, sans tabou, pas même la révision des traités ». Outre les représentants des institutions communautaires et des États, elle associerait des « panels de citoyens, auditionner(ait) des universitaires, les partenaires sociaux, des représentants religieux et spirituels » pour définir « une feuille de route ».
Emmanuel Macron se situe ainsi délibérément hors des traités européens qui prévoient déjà la possibilité de mettre en place une « Convention européenne » destinée à réviser les traités. Mais il s’agit d’une instance formelle uniquement composée de représentants des États et des institutions communautaires. Sa proposition de « Conférence » se situe à mi-chemin entre la Convention et les Consultations citoyennes sur l’Europe qu’il a lancé en 2018 qui n’ont guère mobilisée en dehors de l’Hexagone… Sans doute grisé par le succès du grand débat national qu’il mène tambour battant, le chef de l’État espère qu’en mettant au défi ses partenaires de consulter leur peuple, il parviendra cette fois à ses fins.
Tous les sondages le montrent : l’attachement à l’Union et à l’euro est de plus en plus fort depuis le fiasco du Brexit. Mais, en même temps, les citoyens manifestent leur mécontentement vis-à-vis de l’Europe telle qu’elle est en votant de plus en plus nombreux pour des partis démagogues et/ou d’extrême droite. C’est un véritable défi existentiel pour l’Union : comment est-il possible que le projet européen qui a été conçu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale comme un barrage à l’autoritarisme et au fascisme se retrouve à nouveau confronté à ses vieux démons ?
Pour Emmanuel Macron, sortir du statu quo actuel qui fait le lit des nationalistes est donc vital. Mais il évite curieusement le sujet central du malaise européen, celui de la démocratie, du contrôle de ce qui se décide à Bruxelles. Pas un mot sur une zone euro dont les institutions échappent à tout contrôle parlementaire alors qu’elles pèsent sur les choix économiques et budgétaires des États ; pas un mot sur la Commission devenue un « moloch bureaucratique » ; et pas un mot sur le nerf de la guerre, le budget (de l’Union ou de la zone euro) dont les recettes et les dépenses devraient être votées par un Parlement. En fait, le Président de la République évite tout ce qui a déjà fâché les chrétiens-démocrates allemands...
En lieu et place, il propose de créer de nouvelles institutions : Agence européenne de protection des démocraties, Conseil européen de sécurité intérieure pour gérer les flux migratoires, force sanitaire européenne, instance de supervision européenne des plates-formes numériques, Conseil européen de l’innovation. Le problème est que ces missions sont déjà en tout ou partie assurées par les institutions communautaires actuelles : s’agit-il de déshabiller la Commission pour remettre le pouvoir aux États ou à des agences indépendantes ? Le vrai problème n’est-il pas plutôt celui de ses compétences, du contrôle démocratique et de ses moyens budgétaires ? Ainsi, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) qui assure déjà le « contrôle de nos aliments » a surtout besoin d’être réformée et de moyens budgétaires. De même, la « Banque européenne du climat pour financer la transition écologique » ne risque-t-elle pas de faire double emploi avec la Banque européenne d’investissement ?
Il propose aussi de changer les priorités de l’Union en remettant « à plat de l’espace Schengen » - afin de lier suppression des contrôles fixes aux frontières et politique commune d’asile-, en créant une « préférence européenne », en réformant le droit de la concurrence et la politique commerciale ou encore en fixant un salaire minimal dans chaque État membre dont le niveau serait fixé chaque année par Bruxelles.
Emmanuel Macron sait que ses propositions sont désormais partagées pas une bonne partie de la population européenne qui veut davantage de protections. C’est son pari : si le débat sur l’Europe que veulent les peuples est lancé, la dynamique pourrait tout balayer sur son passage. Mais ses partenaires le savent aussi.
N.B. : version longue de l’article paru dans Libération du 5 mars.
PHOTO LUDOVIC MARIN. AFP
18-19 février 2019 Institut polonais des affaires internationales
compte rendu rédigé par Kinga Torbicka
Le 18 février 2019, à l'Institut polonais des affaires internationales a eu lieu la conférence "Renforcer l'économie de l'UE: la perspective V4-France”. Elle s'est déroulée dans le cadre du projet "Développement d'une nouvelle voie pour une coopération renforcée et améliorée V4-France" (cofinancée par les gouvernements de la République tchèque, de la Hongrie, de la Pologne et de la Slovaquie grâce aux subventions du Fonds international de Visegrad). Le lendemain ont eu lieu des ateliers d'experts sur la compétitivité et l'intégration dans l'Union européenne de la perspective du groupe de Visegrad et de la France ainsi que sur l'avenir de „l'Europe sociale”.
En tant qu'organisation régionale à forte ambition géopolitique et économique, le groupe Visegrad doit redéfinir ses relations avec la France comme l'un des partenaires stratégiques en Europe. La volonté de renforcer le partenariat franco-allemand sur le forum européen, l'approche du Brexit va changer l'avenir du processus décisionnel au niveau de l'UE, sa dynamique de pouvoir et la construction d'une coalition. La nouvelle situation reste sans aucune doute un défi pour l’unité du V4 et la défense de leurs intérêts communs. Par conséquent, il est nécessaire de trouver un niveau de coopération socio-économique bilatérale et / ou multilatérale entre le V4 et la France.
Durant la première journée la conférence a servi aux échanges parmi des invités. Selon Daniel Bartha (Centre d'intégration euro-atlantique et de démocratie) du point de vue du pragmatisme économique, la France reste et restera à jamais un partenaire plus important pour la Hongrie que d’un point de vue politique. Vincent Biret (Conseiller pour les affaires économiques de l'ambassade de France en Pologne) estime que la coopération entre la France et le V4 crée des fondements importants pour la coopération au niveau de l'UE.
Emmanuel Macron, dans son discours à la Sorbonne à Paris le 26 septembre 2017, a souligné la nécessité de réformes dans l'UE afin de protéger l'économie européenne. Pour la France, le V4 reste un partenaire économique important en Europe. Une éventuelle coopération peut avoir lieu dans le cadre du marché unique numérique. Cette position est partagée par Martin Michelot (Institut Européen pour la politique européenne).
La République tchèque considère la France comme un partenaire important dans le commerce et l’investissement. Matej Navrátil (Département des sciences politiques, Université Comenius) a souligné que le V4 reste une force économique régionale importante. La Slovaquie, en tant que membre de la zone euro, participe à presque tous les projets ID. Selon Sebastian Płóciennik (Institut polonais des affaires internationales), l'Allemagne, en raison de sa proximité avec les pays du V4 et de la vigueur de son économie, reste un partenaire économique important en tant que facteur d'équilibre de la coopération germano-française.
L’adaptation des réglementations légales, y compris les réglementations fiscales, au développement de la coopération économique dans de nouveaux domaines, tels que les nouvelles technologies, l’innovation, le secteur bancaire et les infrastructures, constitue le défi le plus important auquel sont actuellement confrontés les pays de V4. Le projet de la création d’une zone de développement industriel en Europe centrale à l’instar de la "Silicon Valley” constitue un défi pour l’avenir.
Il est important de montrer la coopération entre le V4 et la France dans un contexte européen. Il existe de nombreux problèmes communs dans lesquels il est possible de rapprocher (ou non) le V4 de la France: le budget de l'UE, le changement climatique, la Chine, l'union bancaire et les règles de la compétitivité.
Un rapport spécial sera publié à la fin de 2019.
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18-19 luty 2019 Polski Instytut Spraw Międzynarodowych
Konferencja i warsztaty „Wzmocnienie gospodarki UE: perspektywa V4-Francja”
18 lutego 2019 roku w Polskim Instytucie Spraw Międzynarodowych miała miejsce konferencja „Wzmocnienie gospodarki UE: perspektywa V4-Francja” zorganizowana w ramach projektu „Opracowanie nowej drogi dla wzmocnionej i ulepszonej współpracy V4-Francja” (współfinansowany przez rządy Czech, Węgier, Polski i Słowacji poprzez granty Wyszehradzkie z Międzynarodowego Funduszu Wyszehradzkiego). Następnego dnia miały miejsce warsztaty ekspertów dotyczące konkurencyjności i integracji w Unii Europejskiej z perspektywy Grupy Wyszehradzkiej i Francji oraz przyszłości „Europy socjalnej”.
Grupa Wyszehradzka jako organizacja regionalna z silnymi ambicjami geopolitycznymi i gospodarczymi w zaistniałej sytuacji musi przedefiniować swoje relacje z Francją, jako jednym ze strategicznych partnerów w Europie. Chęć wzmocnienia partnerstwa francusko-niemieckiego na forum europejskim, zbliżający się Brexit zmienią przyszłość procesu decyzyjnego na szczeblach UE, jej dynamikę władzy i budowanie koalicji. Nowa sytuacja stanowi bez wątpienia wyzwanie dla jedności V4 i obrony wspólnych interesów. Wobec tego konieczne jest znalezienie płaszczyzny społeczno-ekonomicznej współpracy bilateralnej i/lub multilateralnej między V4 a Francją.
Według Daniel Bartha (Centre for Euro-Atlantic Integration and Democracy). Z punktu widzenia ekonomicznego pragmatyzmu Francja jest i będzie dla Węgier ważniejszym partnerem niż z perspektywy politycznej. Vincent Biret (Conseiller do spraw ekonomicznych Ambasady Francji w Polsce) uważa, że współpraca między Francją a V4 stwarza ważne fundamenty kooperacji na płaszczyźnie UE. Emmanuel Macron w swojej przemowie na Sorbonie w Paryżu 26 września 2017 roku podkreślał, że w UE jest potrzeba reform aby chronić gospodarkę europejską. Dla Francji V4 pozostaje ważnym partnerem gospodarczym w Europie. Potencjalna możliwa współpraca może odbywać się w ramach jednolitego rynku cyfrowego. Stanowisko to podziela Martin Michelot (EUROPEUM Institute for European Policy). Republika Czeska postrzega Francję jako istotnego partnera w wymianie handlowej i inwestycjach. Matej Navrátil (Departament of Poliitcal Science, Comenius University) podkreślił, że V4 pozostaje znaczącą regionalną siłą ekonomiczną.
Słowacja jako członek strefy euro uczestniczy w prawie wszystkich projektach DI. Zdaniem Sebastiana Płóciennika (Polski Instytut Spraw Międzynarodowych) Niemcy ze względu na bliskie sąsiedztwo z krajami V4 i silną gospodarką pozostają ważnym partnerem ekonomicznym jako czynnik równoważący współpracę Niemcy-Francja. Najważniejszym wyzwaniem jakie stoi obecnie przed państwami V4 to dostosowanie regulacji prawnych, w tym podatkowych do rozwoju współpracy gospodarczej w nowych dziedzinach, takich jak nowe technologie, innowacyjność, sektor bankowy, infrastruktura. Takim wyzwaniem może być stworzenie w Europie Środkowej na wzór „silicon valley” strefy rozwoju przemysłowego.
Ważne pozostaje ukazanie współpracy między V4 a Francją w kontekście europejskim. Pojawia się dużo wspólnych problemów, w których pojawia się możliwość zbliżenia (lub nie) między V4 a Francją: budżet UE, zmiany klimatyczne, Chiny, unia bankowa, zasady konkurencyjności.
Podsumowaniem dwudniowego spotkania ma być raport, który będzie opublikowany pod koniec 2019 roku.