Cela a été une promenade de santé pour Christine Lagarde. Auditionnée (pour avis) par la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, mercredi matin, la présidente désignée de la Banque centrale européenne (BCE) n’a, à aucun moment, été mise en difficulté par des eurodéputés. Ils semblaient s’être passé le mot pour éviter toutes questions embarrassantes, notamment sur son passé judiciaire… En réalité, une grande majorité d’entre eux aurait été conquise par n’importe quel candidat à condition qu’il ne soit pas Allemand. Chacun avait bien conscience que si Jens Weidmann, le très rigide patron de la Bundesbank, avait obtenu le poste à la place de la Française, le temps des politiques accommodantes et de l’argent gratuit aurait été révolu : l’homme n’a cessé de combattre la politique menée par l’actuel président de l’institut de Francfort, l’Italien Mario Draghi, depuis sa prise de fonction, le 1ernovembre 2011, y compris devant les tribunaux.
Plusieurs eurodéputés ont d’ailleurs tenu à souligner que c’est « Super Mario » - et non les États - qui a sauvé l’euro et les pays menacés de faillite par les marchés en lançant, le 25 juillet 2012 son fameux : « la BCE est prête à faire tout ce qui est nécessaire pour préserver l’euro. Et croyez-moi ce sera suffisant ». Il a ensuite convaincu une majorité des gouverneurs des banques centrales de la zone euro, mais pas Jens Weidmann, de se lancer dans des politiques dites « non conventionnelles », comme le rachat sans limites des obligations souveraines (OMT) attaquées par les marchés. C’est aussi lui qui a amené les taux de la BCE à zéro et a lancé, en mars 2015, un « quantitative easing » (QE, assouplissement quantitatif) afin de contrer avec succès la menace déflationniste. En clair, il a fait tourner la planche à billets afin de relancer l’activité économique et donc l’inflation. Résultat : Francfort a désormais dans ses coffres l’équivalent de 20 % du PIB de la zone euro et certains Etats empruntent à des taux négatifs sur les marchés. Draghi sera donc parvenu à liquider l’héritage de la Bundesbank qui a marqué les débuts de la BCE… C’est dire si l’homme est détesté outre-Rhin.
Comme les eurodéputés l’espéraient, Christine Lagarde, 63 ans, s’est résolument placée dans ses pas. « Sans la plasticité novatrice de la BCE, la crise de la zone euro aurait été bien plus profonde », a assumé celle qui vient de passer huit ans à la direction générale du Fonds monétaire international (FMI). Elle a reconnu, au passage, que les Banques centrales, vu la gravité de la crise de 2008-2012, ont dû « transgresser les traités ». Voilà qui va faire grincer des dents outre-Rhin. En dépit des critiques de plusieurs députés allemands et néerlandais sur « l’euthanasie des épargnants », elle a exclu tout retour à l’orthodoxie monétariste, « l’environnement actuel de basse inflation » dessinant un nouveau monde que personne ne comprend encore. « Au vu des menaces, il faut une politique monétaire qui s’adapte pour une longue période de temps ». Elle n’a d’ailleurs pas exclu que la BCE adopte de nouvelles mesures non conventionnelles même si les analystes estiment que sa boite à outils est vide : « personne n’aurait pu imaginer les nouveaux instruments inventés à l’époque » de la crise de la zone euro, a rappelé, un rien mystérieuse, Christine Lagarde. Pour elle, l’activité économique doit continuer à passer avant l’épargne, même si elle a reconnu qu’il fallait étudier « l’impact à long terme des politiques non conventionnelles », notamment sur la rentabilité des banques, l’épargne et le marché immobilier.
Elle a égratigné à plusieurs reprises l’Allemagne lors de son audition : « les banques centrales ne sont pas les seuls acteurs en ville. Certains pays de la zone euro peuvent faire usage de leurs marges budgétaires » afin de soutenir l’activité. Premières visées : l’Allemagne et les Pays-Bas. De même, elle a critiqué les plans d’assainissement appliqués à la Grèce largement inspirés par Berlin : elle a expliqué qu’elle s’était opposée à plusieurs mesures contreproductives. Elle estime notamment que le surplus primaire de 3,5 % du PIB exigé par l’Eurogroupe (les dix-neuf ministres des Finances de la zone euro), mais surtout par l’Allemagne, est intenable et risque d’étouffer la reprise économique… Elle ne s’est pas arrêtée en si bon chemin en souhaitant la création d’un vrai budget de la zone euro, de bons du trésor européen, et l’achèvement rapide de l’union bancaire qui passe notamment par un fonds européen de garantie des dépôts, toutes innovations refusées en bloc par Berlin. « Il manque des maillons pour que l’euro soit un succès », a-t-elle souligné.
La présidente désignée veut enfin exercer son mandat en adoptant une vision plus large de la politique monétaire qui, selon elle, doit tenir compte des nouveaux défis que sont le changement climatique, l’intelligence artificielle et la remise en cause du multilatéralisme. En particulier, elle souhaite que la BCE élimine « progressivement » les titres financiers des entreprises polluantes qu’elle détient à la suite du QE.
Reste à savoir quelle présidente sera Christine Lagarde : elle a plaidé pour la concertation et pour le compromis. Or si Draghi a pu imposer sa politique, c’est en jouant du rapport de force brutal et en n’hésitant pas à passer sur le corps du patron de la Bundesbank. Chercher le compromis avec l’Allemagne, c’est la certitude du surplace…
Photo: AFP