L’Union serait-elle responsable de la lenteur de la campagne de vaccination contre le Covid-19 en Europe ? C’est l’avis d’une partie des médias conservateurs et de la classe politique allemands (les libéraux du FDP et une fraction des conservateurs de la CDU-CSU) qui estiment que la Commission, chargée de gérer au nom des Etats membres la stratégie vaccinale, s’est pris les pieds dans le tapis en ne commandant pas assez de doses auprès du consortium germano-américain BioNTech-Pfizer. Une accusation qui ne tient guère la route et relève de l’eurobashing le plus pur.
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En effet, lorsque les Etats européens ont décidé, en juin dernier, de confier à l’exécutif européen la politique vaccinale contre le coronavirus afin de négocier en position de force et surtout éviter une course à l’échalote entre les Etats membres potentiellement destructrice, il n’existait absolument aucun vaccin.
Pré-réservation à l’aveugle
Pour rappel, celui produit par BioNTech-Pfizer n’a été approuvé par l’Agence européenne du médicament (AEM) basé à Amsterdam que le 21 décembre (le 2 décembre au Royaume-Uni qui a utilisé une procédure dérogatoire), et celui développé par l’Américain Moderna seulement ce mercredi.
La Commission a donc dû conclure des contrats de pré-réservation à l’aveugle avec les laboratoires pharmaceutiques les plus prometteurs sans savoir lequel parviendrait à découvrir un vaccin performant et sans risque : «Si on avait deviné juste, on jouerait au loto tous les jours», ironise une fonctionnaire européenne. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle a visé large en termes de quantité. En échange, les laboratoires ont obtenu des aides d’un montant total de 2,1 milliards d’euros pour les aider à financer leurs investissements, le paiement des doses effectivement livrées étant laissé à la charge des Etats.
Le premier contrat a été conclu le 14 août avec AstraZeneca pour 300 millions de doses et une option sur 100 millions de doses supplémentaires. Ont suivi le 18 septembre Sanofi-GSK (300 millions de doses), le 7 octobre avec Johnson & Johnson (200 millions avec une option sur 200 millions), le 11 novembre avec BioNTech-Pfizer (200 millions avec une option sur 100 millions), le 19 novembre avec CureVac (225 millions avec une option sur 180 millions) et le 25 novembre avec Moderna (80 millions avec une option sur 80 millions). Un contrat devrait bientôt être signé avec Novavax (100 millions avec une option sur 100 millions).
460 millions de doses
Avec les seuls vaccins approuvés par l’AEM, l’Union dispose donc d’un stock potentiel de 460 millions de doses, largement de quoi couvrir l’ensemble de la population européenne… Il est prévu que les Vingt-Sept auront accès en même temps aux vaccins en proportion de leur population afin de ne léser personne.
Il faut savoir que la Commission n’est pas seule aux commandes dans cette affaire : tous les contrats sont validés par les Vingt-Sept, ce qui explique la lourdeur et la relative lenteur de la procédure. Mais la politique sanitaire n’étant pas une compétence de l’Union, il est impossible de faire autrement.
Autant dire que la polémique germano-allemande sur le soi-disant échec de l’Union est lunaire, surtout quand on sait que le problème actuel de la campagne de vaccination n’est pas celui de l’absence de doses, mais celui de la logistique.
Considérations de politique intérieure
En réalité, elle ne s’explique que par des considérations de politique intérieure : il ne faut pas oublier que les élections allemandes auront lieu en septembre et que la CDU va désigner le successeur d’Angela Merkel d’ici quelques jours. Tout ce qui affaiblit cette dernière renforce donc mécaniquement ses adversaires.
Or, attaquer l’Europe, c’est en réalité s’en prendre à Ursula von der Leyen, présidente de la Commission et ancienne ministre allemande de la Défense, qui ne fait pas grand-chose sans l’approbation de la chancelière… Les médias conservateurs que sont Die Welt ou Bild Zeitung vont même plus loin en reprochant directement à Angela Merkel d’avoir délégué l’achat de vaccins à l’Union alors que BioNTech est une entreprise allemande. Autrement dit, en jouant européen, elle aurait empêché les Allemands d’être vaccinés les premiers. Un nationalisme vaccinal pour le moins choquant.
N.B.: article paru le 6 janvier