C’est par un tweet, mercredi 20 juin que Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, a fait savoir qu’il « invitait » « à une réunion de travail informelle sur les sujets des migrations et de l’asile un groupe d’États membres intéressés. Le but de la réunion, qui aura lieu ce dimanche à Bruxelles, est de travailler à des solutions européennes en vue du sommet » des 28 et 29 juin. Parmi les chefs d’États et de gouvernement « tagués » dans le tweet, Emmanuel Macron, Angela Merkel, l’Italien Giuseppe Conte, l’Autrichien Sebastian Kurz, le Grec Alexis Tsipras, le Bulgare Boïko Borissov, le Maltais Joseph Muscat et l’Espagnol Pedro Sanchez. A la suite de cette annonce, le Belge Charles Michel et le Néerlandais Mark Rutte suivi par le Luxembourg, le Danemark, la Suède, la Finlande, la Slovénie et la Croatie ont annoncé qu’ils rejoindraient ce mini-sommet informel, alors que la Pologne, la Hongrie, la Tchéquie et la Slovaquie ont fait savoir qu’ils déclinaient l’invitation. Soit 16 pays sur 28.
Une convocation pour le moins étonnante, puisque Juncker préside la Commission et non le Conseil européen. Autrement dit, il court-circuite le Polonais Donald Tusk qui, pourtant, travaille déjà sur le sujet de l’asile et de l’immigration afin de réunir un consensus sur plusieurs points, notamment sur la création de plates-formes d’accueil dans les pays tiers où le tri serait fait entre les demandeurs d’asile admis à venir sur le territoire européen et les autres. La seule autre fois où la Commission s’est risquée à sortir ainsi de ses prérogatives, c’était déjà sur la question des demandeurs d’asile : au plus fort de la crise de 2015, elle avait convoqué, le 25 octobre, un « sommet » pour tenter de fermer la route des Balkans. Mais, cette fois-là, plusieurs États invités étaient non-membres de l’Union: aux côtés de l’Autriche, de l’Allemagne, de la Croatie, de la Bulgarie, de la Grèce, de la Hongrie, de la Roumanie et de la Slovénie, on trouvait en effet l’Albanie, la Macédoine du Nord et la Serbie, ce qui pouvait justifier l’initiative de la Commission, celle-ci étant chargée des relations de voisinage. Cette fois-ci, on se demande quelle mouche l’a piquée.
En réalité, dès que la chancelière allemande est en difficulté, la Commission se plie toujours en quatre pour l’aider. Ni la Grèce ni l’Italie n’ont jamais eu droit à un tel traitement VIP alors qu’ils sont en première ligne depuis des années. Pis, alors que l’Allemagne s’est assise sur la solidarité européenne en décidant seule d’ouvrir ses frontières en 2015, sans que la Commission hausse un sourcil, Athènes et Rome, elles, ont eu droit aux remontrances de Bruxelles pour leurs retards à mettre en place des centres d’accueil permettant de faire le tri entre les arrivants... La Commission a même préparé un projet de conclusions reprenant pour l’essentiel les demandes de la CSU allemande destinées notamment à bloquer les «mouvements secondaires», c’est-à-dire les demandes d’asile d’étrangers qui ne l’ont pas déposé dans le pays de premier accueil comme le prévoit le régalement de Dublin. Ce projet a finalement été abandonné suite aux protestations de l’Italie qui a menacé de ne pas se rendre à Bruxelles, puisqu’on lui demandait en réalité d’assumer seule la charge des migrants...
Cette initiative de Juncker, qui doit son poste aux conservateurs allemands, est d’autant plus baroque qu’il n’y a pas de « crise des migrants », le nombre d’arrivées en Europe ayant retrouvé son niveau d’avant 2015 (-77% en Italie par rapport à l’année dernière). En revanche, il y a bien une succession de crises politiques dans certains pays, en particulier en Allemagne, la droite radicale et l’extrême-droite essayant de tirer les dividendes d’une crise déjà terminée. Bref, la Commission veut surtout essayer de sauver le soldat Merkel plus que de stopper une fantasmée « invasion migratoire ». C’est d’ailleurs pour cela que Donald Tusk a refusé de convoquer lui-même ce sommet informel.