La bulle bruxelloise mérite souvent son nom. La Commission européenne en fournit une nouvelle fois la preuve en expliquant à qui veut bien l’entendre qu’elle espère que les 27 États membres adopteront (à l’unanimité) sa proposition de « Cadre financier pluriannuel » (CFP) pour la période 2021-2027 avant les élections européennes du 26 mai 2019. La raison ? Il faudrait, selon elle, conclure la négociation le plus vite possible pour adopter tous les règlements nécessaires afin que le CFP puisse entrer en vigueur le 1erjanvier 2021. Et surtout avant qu’un nouveau Parlement, sans doute plus eurosceptique, ne soit élu. Un souhait qui ne risque pas de se réaliser, tant il est déconnecté de la vie démocratique de l’Union et de celle des États membres.
Passons sur le fait qu’aucun budget pluriannuel n’a jamais été adopté en moins de douze mois. Pis : il a souvent fallu attendre le dernier moment. Ainsi, les États membres se sont mis d’accord sur l’actuel CFP (2014-2020) en…décembre 2013. Or, cette fois, l’exercice est autrement plus difficile, puisque la Commission propose de tailler à la hache dans les deux grandes politiques que sont la politique agricole commune (PAC) et les fonds structurels (aides aux régions défavorisées). En effet, plutôt que de proposer une augmentation du budget pour faire face au Brexit et aux nouvelles politiques de l’Union, elle propose de le maintenir à son niveau actuel (environ 1 % du PIB communautaire) de peur de déplaire à une poignée de radins qui pèsent pourtant peu au regard de la population totale de l’Union (Pays-Bas, Autriche, Suède, Finlande, Danemark).
Imaginer que de telles coupes –que la France et dix-neuf autres pays refusent- pourront être actées en moins d’un an, c’est prendre ses désirs pour des réalités. En outre, le CFP ne vient pas seul puisque la Commission en profite pour proposer de réformer en profondeur la plupart des politiques européennes. Or il faudra du temps pour que les États étudient toutes les implications de ces changements et surtout parviennent à un compromis.
Surtout, la volonté de la Commission de conclure avant les élections montre à quel point elle se fiche comme d’une guigne de la démocratie. Car cela signifierait que le prochain Parlement, à la légitimité toute fraiche, n’aurait absolument pas son mot à dire sur un CFP qui s’appliquera durant 7 ans, c’est-à-dire au-delà de la durée de la législature de 5 ans… En clair, le message adressé aux électeurs sera : « votez, mais cela ne servira pas à grand-chose puisque tout est déjà bouclé pour 7 ans ». Très mobilisateur.
Enfin, le compromis qui sera trouvé au terme de la négociation sera douloureux pour tout ou partie des États membres. Ce qui signifie que les partis qui font partie d’une majorité gouvernementale devront aller à la bataille électorale avec un bilan que leurs adversaires ne manqueront pas d’exploiter. Imagine-t-on En Marche aller aux Européennes avec une réduction de 15 % du budget de la PAC, l’agriculture restant en France un sujet hautement inflammable ? Ou encore le PiS, qui affronte non seulement les Européennes, mais quelques mois plus tard les législatives, devant justifier une baisse importante des fonds structurels dont bénéficie la Pologne ? Autant de contraintes politiques dont personne ne semble avoir conscience à la Commission. Une indication de ce qui va se passer : les chefs d’Etat et de gouvernement, lors de leur sommet des 28 et 29 juin, n’ont même pas discuté du CFP : ils se sont contenté d’en « prendre note »…
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