Martin Selmayr doit démissionner ! Le Parlement européen a durci le ton pour obtenir le départ de l’omnipotent secrétaire général allemand de la Commission qui s’est emparé de son poste le 21 février à la suite d’un véritable «coup d’Etat» interne, comme il l’a dénoncé en avril - mais sans appeler à son départ- sans que cela ait eu le moindre effet.
Jeudi, les eurodéputés, réunis en session plénière à Strasbourg, n’ont pas fait dans le détail en estimant en substance que la Commission n’a pas grand-chose à envier à la Hongrie de Viktor Orban dans ses pratiques internes. En effet, pour eux, elle «n’a pas respecté les principes de transparence, d’éthique et d’état de droit dans la procédure qu’elle a utilisée pour nommer Martin Selmayr». Ils déplorent donc «vivement la décision de la Commission de confirmer M. Selmayr […] malgré les nombreuses critiques émises par les citoyens de l’Union et le préjudice que cela cause à la réputation de l’Union». Pour le Parlement, aucun doute, «M. Selmayr doit démissionner de son poste». Des phrases extrêmement dures figurant dans une résolution, adoptée à une écrasante majorité, sur le rapport annuel de la médiatrice de l’Union, Emily O’Reilly, qui, en septembre, avait, elle aussi, estimé que la nomination de Selmayr était illégale.
La volonté du Parlement d’avoir la peau de ce haut fonctionnaire proche de la CDU allemande est d’autant plus déterminée que la Commission Juncker a traité par le mépris tous ceux qui ont osé remettre en cause sa nomination. Rien d’étonnant puisque Selmayr est le président de l’ombre de l’exécutif européen, puisqu’il cumule les fonctions de secrétaire général, de chef de cabinet (de facto) et de sherpa (négociateur international) de Jean-Claude Juncker qui n’est plus que l’apparence titubante du pouvoir. Autrement dit, c’est lui qui fait la politique de cet organe, aucun commissaire n’osant l’affronter…
Un pouvoir démesuré, sans précédent dans l’histoire communautaire, qui se renforce au fil du temps. Ainsi, il n’a pas renoncé, comme je l’avais annoncé en février dernier, à démanteler le service juridique de la Commission qui joue le rôle du Conseil d’Etat français auprès du gouvernement. Ainsi, Selmayr ne pourra plus être contredit par personne...
Pourtant, les d’eurodéputés estimaient, pour justifier leur refus de censurer la Commission en avril dernier, que les jours de Selmayr étaient comptés du seul fait que ses manœuvres pour s’emparer des leviers du pouvoir avaient été exposées au grand jour (d’abord par Libération, puis par le Parlement et la médiatrice). Or, celui-ci a réussi, contre toutes attentes, à consolider son pouvoir au point qu’en interne beaucoup estiment qu’il a désormais de bonnes chances d’être maintenu à son poste. Non seulement il place ses femmes et ses hommes partout et écarte les gêneurs afin de verrouiller l’appareil, mais il a parfaitement compris que son sort se jouait à Berlin : il fait donc tout pour complaire à son pays d’origine et s’érige en défenseur des intérêts allemands.
Le hasard faisant bien les choses, l’un de ses amis, Peter Altmaier, actuel ministre de l’Economie et proche d’Angela Merkel, est donné comme prochain commissaire allemand, ce qui lui donnera un point d’appui non négligeable. Il parie aussi sur le fait que si l’Allemagne accepte que le futur président de la Commission soit un Français, elle exigera en rétribution que le poste de secrétaire général reste à un Allemand et donc à lui... Le Français le mieux placé pour remplacer Juncker étant Michel Barnier, qui lui doit son poste de négociateur du Brexit, n’aura aucun mal à assumer ce petit Yalta.
Bref, le Parlement européen se rend compte qu’il a fait une grave erreur en sous-estimant le pouvoir de nuisance de «l’homme le plus intelligent de la Commission», celui sans qui «rien ne fonctionnerait», comme il l’explique sans fausse modestie à ses visiteurs. Son appel à la démission apparaît bien vain devant la détermination de Selmayr de se maintenir coûte que coûte au pouvoir.