Voir Emmanuel Macron, le jeune chef de l’Etat français, assiégé dans son palais de l’Elysée par des émeutiers en jaune réjouit tout ce que la planète compte de démagogues et de régimes autoritaires, de Donald Trump, le président américain, à Recep Tayyip Erdogan, son homologue turc, en passant par la République islamiste d’Iran ou encore Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur italien et patron de la Ligue, parti d’extrême droite. Tous affichent leur soutien au mouvement des gilets jaunes et espèrent désormais ramasser la mise politique à quelques mois des élections européennes de mai 2019.
Samedi, à Bruxelles, où défilaient un petit millier de gilets jaunes locaux, Steve Bannon, l’ancienne «éminence noire» de Donald Trump, a retrouvé sa comparse Marine Le Pen, la présidente du Rassemblement national, et le Vlaams Belang, le parti fasciste flamand, pour dénoncer, lors d’un meeting, le «pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières» de l’ONU. Ce «pacte avec le diable» selon Marine Le Pen, préparerait le «grand remplacement» des blancs par les Africains et les Arabes, l’une des «infox» qui a connu un grand succès sur certains réseaux des gilets jaunes.
« Paris brûle »
Pour Bannon, qui rêve d’exporter la révolution conservatrice trumpienne sur le Vieux Continent, les «jaunes» sont l’équivalent de la classe moyenne blanche américaine qui a porté Trump au pouvoir : «Dans les petits villages, dans les zones rurales de France et dans les rues de Paris, les gilets jaunes, les «déplorables» de France, sont exactement les mêmes personnes qui ont élu Donald Trump […], le même type de personnes qui ont voté pour le Brexit. Ils veulent avoir le contrôle de leur pays, ils croient en l’Etat nation.» De fait, l’absence de diversité dans le mouvement des gilets jaunes n’a pas échappé à ce fin politique.
Marine Le Pen l’a parfaitement compris aussi : «A l’heure où dans mon pays se déroulent des évènements d’une gravité inquiétante, au moment même où les Français, guettés par la misère, des travailleurs et retraités pauvres se révoltent pour leur pouvoir d’achat et leur dignité, […] il est indécent d’envisager toute nouvelle immigration. […] Il est indécent de continuer à dilapider les aides sociales de nos pays dans des politiques insensées de distribution de notre argent à la terre entière, lorsque nos compatriotes n’ont plus les moyens de se soigner, de se déplacer, de se loger et parfois même pas les moyens de manger.» «Paris brûle, Londres est en crise. Le pacte mondial de Marrakech sur les migrations est mort avant sa signature», a martelé Steve Bannon.
Europe divisée
Même si ce pacte est juridiquement non contraignant et réaffirme le «droit souverain des Etats» à définir leur politique migratoire, qu’importe ! Ce texte, qui recense les principes et droits existants (défense des droits de l’Homme, des enfants) et formule 23 objectifs pour aider les pays à faire face aux migrations, offre le moyen rêvé de faire le lien entre angoisses identitaires, refus de l’immigration et peur du déclassement. Ce n’est pas un hasard si les pays européens dirigés par des populistes – ou les comptant dans leur majorité – ont décidé de ne pas le signer, offrant ainsi au monde le visage d’une Europe profondément divisée.
En Belgique, le gouvernement dirigé par le libéral francophone, Charles Michel, se retrouve même en lambeau après le départ, dans la nuit de samedi à dimanche, de la N-VA, le parti indépendantiste et de droite radicale flamande, qui a refusé d’être associée à ce Pacte. Certes, le parti de Bart De Wever, le premier parti de Flandre, continuera à soutenir le gouvernement Michel, mais uniquement sur les textes économiques, afin d’éviter d’anticiper les élections législatives de mai prochain. Une cure de «semi-opposition» qui lui permettra d’occuper l’espace dont comptait s’emparer le Vlaams Belang. L’affrontement entre nationalistes identitaires et europhiles a déjà commencé, il sera brutal et les premiers ont déjà une longueur d’avance.
N.B.: article paru dans Libération du 10 décembre
Photo: Photonews via Getty images