Les partisans d’un Brexit « dur » ont incontestablement marqué un point : après le rejet de l’accord de divorce par la Chambre des communes, un « no deal », c’est-à-dire une sortie brutale de l’Union européenne (UE) le 29 mars, semble plus probable que jamais, même si une majorité de députés britanniques reste hostile à une telle perspective catastrophique pour l’économie du pays. Désormais, et faute d’une solution miracle immédiatement disponible, le seul moyen d’éviter ce « hard Brexit » serait que le gouvernement de Theresa May demande un délai supplémentaire à ses futurs ex-partenaires, voire retire unilatéralement sa demande de sortie de l’Union (article 50 du traité sur l’UE).
«On ne va pas sacrifier les intérêts des Européens»
En tout état de cause, la clef du Brexit se trouve à Londres et nulle part ailleurs comme l’a reconnu Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, en appelant « le Royaume-Uni à clarifier ses intentions dès que possible ». « Nous attendons maintenant ce que la Première ministre propose », lui a fait écho la chancelière allemande, Angela Merkel. Puisque ce sont les Britanniques qui ont décidé, lors du référendum du 23 juin 2016, de quitter l’Union, il leur revient de dire comment ils entendent le faire tout en respectant les « lignes rouges » fixées par ses partenaires. Or, celles-ci n’ont pas bougé : « On ne va pas sacrifier les intérêts des Européens pour régler un problème de politique intérieure des Britanniques », a ainsi martelé le chef de l’État français, Emmanuel Macron, lors de son dialogue avec les maires : « La pression est du côté de la Grande-Bretagne », puisqu’elle sera la première « perdante d’un « no deal »».
De fait, il n’est pas question de renégocier le volumineux accord de retrait péniblement conclu en novembre dernier (585 pages, trois annexes et une déclaration politique de 26 pages). « On a été au bout de ce qu’on pouvait faire dans l’accord », estime Emmanuel Macron. « La marge de négociation est proche de zéro » confirme-t-on dans son entourage. Une position d’autant plus ferme que, vu l’ampleur du rejet, il n’y a guère de chance que des changements à la marge, les seules imaginables pour l’Union, satisferaient une majorité de députés britanniques.
Prolonger le délai
Parmi les idées évoquées pour gagner du temps, la prolongation du délai de deux ans prévu par l’article 50 entre son activation et la sortie effective. Il faudrait que Londres la demande et que les 27 l’acceptent à l’unanimité. Or, pour Alain Lamassoure, eurodéputé conservateur, ce serait un « piège » : « les députés qui n’ont pu se mettre d’accord en trois ans ne le feront pas en trois semaines », tranche-t-il. À Paris, on estime aussi qu’un tel report ne pourrait être accordé qu’à condition que Londres ait un plan précis susceptible de réunir une majorité à la Chambre des communes. Or, ce n’est absolument pas le cas, ce qui rend l’extension de l’article 50 sans objet : « il faut sortir de cette approche qui consiste à demander une minute de plus au bourreau avant qu’il ne fasse son office », tranche un proche du gouvernement.
Sans compter qu’un délai supplémentaire poserait des problèmes juridiques, les élections européennes devant avoir lieu en mai prochain. Il faudrait d’une part se mettre d’accord sur la durée de ce délai, ce qui dépendra largement de la capacité de Theresa May à élaborer une solution qui soit acceptable à la fois par la Chambre des communes et par l’Union, et, d’autre part, trancher la question de leur participation aux institutions communautaires. Ce qui passera par un amendement aux traités qui devra être ratifié par les vingt-huit parlements. Trois solutions sont possibles : soit le Royaume-Uni organise des élections européennes, soit elle maintient ses députés actuels en fonction, soit elle envoie des députés nationaux pour siéger à Strasbourg. La question de la répartition des 73 sièges actuellement occupés par les eurodéputés britanniques qui a déjà été décidée (27 ont été attribués à des pays gravement sous-représentés comme la France (+5 sièges), le reste étant gelé pour les futurs élargissements) ne pose pas de problème, puisque le texte a prévu ce cas de figure : la composition du Parlement ne serait tout simplement pas modifiée dans un premier temps. La nouvelle répartition n’entrera en vigueur que lors de la sortie effective du Royaume-Uni.
Renégocier les traités européens
Autre possibilité hautement improbable : un retrait unilatéral de l’article 50, une possibilité reconnue par la Cour de justice européenne dans un arrêt de principe du 10 décembre dernier. Mais cela impliquerait soit un nouveau référendum, soit des élections législatives anticipées valant référendum... Ce retrait pourrait certes n’être que temporaire, rien n’empêchant Londres d’activer à nouveau l’article 50 dans un ou deux ans… Un cauchemar pour l’Union qui vivrait pour longtemps au rythme du Brexit.
À Paris, on commence à envisager, pour sortir par le haut de ce tête-à-tête impossible avec Londres, de profiter de cette crise pour remettre sur la table l’ensemble des traités afin de créer cette Europe à géométrie variable qu’Emmanuel Macron a esquissé lors de son discours de la Sorbonne en septembre 2017. Cela permettrait de régler au passage le problème britannique en créant un statut « d’État proche » associé à l’Union au sein d’un partenariat économique et politique. Un second cercle serait constitué du marché unique et des valeurs fondamentales. Un troisième, d’une zone euro fédérale… Mais faut-il entamer une telle négociation avec le Royaume-Uni encore à bord, c’est-à-dire avec son droit de véto, ou attendre le choc cathartique d’une sortie chaotique ? La réflexion ne fait que commencer.
N.B.: article paru dans Libération du 17 janvier