Michel Barnier se voit « déjà, En haut de l’affiche », comme le chantait Charles Aznavour. L’actuel négociateur du Brexit, l’ancien commissaire (deux fois), l’ancien ministre français des Affaires européennes puis étrangères, a, en effet, commencé sa campagne pour succéder à Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission, en novembre prochain. Depuis quelques semaines, il multiplie les discours programmatiques espérant manifestement que les contacts étroits qu’il a noués avec les 27 chefs d’État et de gouvernement au cours des deux années de négociations du Brexit lui permettront enfin de décrocher le Graal lors du Conseil européen du mois de juin qui suivra les élections européennes. A 68 ans, celui qui est en politique depuis 1973 (45 ans quand même) aimerait enfin sortir des rôles de second couteau auquel il est abonné et parvenir enfin en pleine lumière.
Les «Spitzenkandidaten», une expérience non concluante
Le Français estime avoir sa chance, car le système des Spitzenkandidaten est mort. Il ne s’est imposé en 2014 que parce que la tête de la liste PPE (conservateur) arrivée en tête, en l’occurrence Juncker, avait le profil du poste : ancien premier ministre du Luxembourg et ancien négociateur du traité de Maastricht, l’homme était connu, y compris du grand public, et alors respecté par ses pairs.
Mais l’expérience n’a pas été concluante, Juncker, un homme prématurément vieilli, fatigué, usé, ayant laissé les clefs de la Commission à son chef de cabinet, l’Allemand Martin Selmayr. En outre, les deux principaux partis politiques européens ont commis l’erreur de désigner des troisièmes couteaux totalement inconnus du grand public et des chefs d’État et de gouvernement : l’Allemand Manfred Weber de la CSU bavaroise pour le PPE et le Néerlandais Franz Timmermans, commissaire européen sortant, pour les socialistes. Les libéraux, troisième force politique, ont tout simplement décidé de ne pas concourir à cette course d’éclopés.
Enfin, Emmanuel Macron est totalement opposé à ce système qui donne tout le pouvoir au Parlement européen, ou plutôt au petit cercles des dirigeants des partis politiques européens qui n’ont absolument aucune légitimité. Pour le chef de l’État français, il faut que la tête de liste soit issue d’une liste transnationale afin de lui donner une légitimité transeuropéenne. Or le Parlement européen, sous l’influence de ses caciques, a refusé de la créer, ce qui redonne de facto la main au Conseil européen.
Le jeu est ouvert
Le jeu est donc particulièrement ouvert, aucun candidat évident ne s’imposant. Ce qui a toujours été le cas par le passé : ce n’est jamais le favori ou celui qui est donné comme tel qui s’impose au final. Barnier est certes macron-compatible, mais sa candidature n’a une chance d’aboutir que si Paris n’est pas intéressé par un autre poste autrement plus sensible, celui de président de la Banque centrale européenne, qui doit aussi être pourvu en juin. Ce sera l’un ou l’autre, mais pas les deux. Pour l’instant, la France n’a pas vraiment fait son choix, même si François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France se verrait bien à Francfort.
Le problème de Barnier est sa longévité en politique, plus que son âge, qui n’est vraiment pas le signal d’un renouvellement ou d’une relance du projet européen. Surtout, c’est l’homme lige de Martin Selmayr qui l’a nommé au poste qu’il occupe actuellement et l’a étroitement contrôlé durant toutes les négociations du Brexit. L’Allemand parie depuis longtemps sur sa nomination à la tête de l’exécutif européen comme nous le révélions en février 2018, afin d’assurer sa survie. Car l’ancien chef de cabinet de Juncker, que l’on surnomme « le monstre » à Bruxelles, est sous le feu des critiques depuis que Libération a révélé comment il avait violé le droit européen pour se faire nommer secrétaire général de la Commission, 71 % des eurodéputés exigeant même sa démission (résolution adoptée en décembre). Barnier président, cela signifierait qu’en réalité la Commission resterait sous la coupe de Selmayr, le Français n’étant pas particulièrement réputé pour son courage. Bref, comme dans la chanson d’Aznavour, l’affaire pourrait finir tristement pour Barnier : « Si je suis dans l’ombre, Ce n’est pas ma faute, C’est celle du public qui n’a rien compris, On ne m’a jamais accordé ma chance »…
photo: AFP - EMMANUEL DUNAND