Comment parler géopolitiquement d'Israël sans verser dans la montée très rapide à l'émotion, à l’idéologie, à la polémique, aux accusations ?, Peut-être en revenant à une analyse géopolitique fondée sur la géographie et faire travailler un auteur mexicain, assez éloigné donc des clivages émotifs du sujet. C'est ce mélange inédit qui nous propose ce livre rare et indispensable permettant un regard enfin distancié sur la question israélo-palestinienne.
Il faut dire que l'auteur est accompagné d'un des plus grands géographes français, Philippe Subra. Cela aide évidemment à apporter distance et rigueur d'analyse mais aussi expérience géographique.
Au fond, toute la stratégie territoriale d'Israël ne se réduit pas au territoires occupés ni à la construction du mur, ce à quoi on la réduit trop souvent. L’intérêt du livre consiste à montrer que le principal angle de compréhension est ce que nous appelons en France "l'aménagement du territoire". Cet angle, plus neutre, laisse toutefois apparaître une politique presque séculaire puisque remontant à la période pré-étatique, de 1890 à 1948.
Le livre montre ainsi la fabrication de frontières à l'intérieur d'Israël (dès avant le Mur) - chap 1 ; tout le travail de colonisation, d'aménagement et de maîtrise de l'espace (chap 2); que cette politique d'aménagement israélienne, ne cache pas de profondes division juives (chap 3); le livre s'attarde ensuite sur le système électoral (chap 4) puis sur Rawabi, "la ville du futur" palestinienne, (chap 6).
Bref, au-delà des guerres et des conflits, au-delà des murs et des "colonies", le livre montre aussi l'évolution des réseaux routiers ou des découpages administratifs, ou encore les séparations de communautés entre centres et périphéries des villes israéliennes.
L'ensemble dresse un tableau particulièrement instructif, sourcé et académique (je n'ose dire neutre), qui démontre une permanence des objectifs territoriaux de l’État d'Israël, confronté à une exiguïté qui rend cette question des limites essentielle. On en déduit logiquement que ce qui n'était qu'un moyen est devenu une fin en soi et que l'extension des frontières va de pair avec un enfermement psychologique et obsidional.
On note également la question de la densité démographique (et des zones désertiques), ou encore de la lutte pour les ressources en eau, avec un déterminant environnemental qui prend une importance croissante. Autant de sujets "techniques" qui militent pour des décisions "techniques", celles-ci contribuant, "par hasard" à concourir à un plan plus général d’occupation de l'espace.
L'ouvrage est illustré de très nombreuses cartes originales qui accompagnent le texte et le rendent intelligible. Voici donc un livre indispensable et distancié, loin des anathèmes habituels sur le sujet, mais qui permet de se construire son opinion : Désaltérant. A recommander chaudement.
Julieta Fuentes-Carrera (avec la collaboration de Philippe Subra, Israël, l'obsession du territoire, Armand Colin, 2018, 222 p. Lien éditeur
O. Kempf
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Ainsi, on évoque surtout la transformation digitale par ses effets. La première manifestation de la transformation digitale serait le passage des GAFA au NATU. En effet, chacun connaît désormais l’acronyme des GAFA, reprenant les initiales des mastodontes de l’Internet : Google, Amazon, Facebook et Apple. Certains ajoutent le M de Microsoft, voire le I de Intel (ce qui donnerait GAFAMI). Mais ces entreprises géantes auraient vu leur croissance dans les années 2000. La décennie 2010 verrait l’émergence de nouveaux géants. Laissons de côté les acteurs chinois (les BATX : Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) qui défient les GAFA sur leur propre terrain, et intéressons nous aux NATU, qui créent justement de nouveaux modèles de succès économique.
L’acronyme NATU est formé des initiales de Netflix, AirBnB, Tesla et Uber.
Netflix propose un abonnement, en flux continu par Internet, permettant de voir, sur son téléviseur ou son ordinateur, des films et séries. L’entreprise, créée en 1997, a réussi à se différencier par une gestion des ressources humaines innovante (abandon de l’évaluation annuelle remplacée par une évaluation continue, belles rémunérations, liberté des activités et des congés), une organisation agile (permettant de fournir les produits en continu) et une qualité de service rendue possible par une politique active de partenariat, notamment avec les fournisseurs d’accès. De plus, l’offre est différenciée selon les pays, à la fois pour des raisons marketing (les goûts diffèrent d’un pays à l’autre) que pour des raisons de licence des films diffusés. Fin 2017, Netflix compte 117 M d’abonnés dont 54 aux États-Unis et 3,5 M en France. Netflix est valorisé à 19 milliards de dollars (G$).
AirBnB est une société qui propose une plateforme internet de mise en location d’appartements chez les particuliers. Fondée en 2007, elle a un chiffre d’affaires de 2,6 milliards de dollars et un profit de 93 M$ ! L’entreprise a réussi à convaincre 300 M d’utilisateurs grâce à son système d’intermédiation, en organisant grâce à son outil la rencontre entre une offre (les particuliers qui ont une chambre ou un appartement à louer, de façon temporaire) et une demande (d’autres particuliers à la recherche de logements de vacances moins chers et bien situés). AirBnB a construit sa croissance grâce à une vraie agilité marketing (s’intéressant à ses deux type de clients, les offreurs comme les demandeurs), une véritable simplicité d’utilisation de son site (y compris le paiement en ligne, malgré le casse-tête des taux de change), un algorithme très puissant, une attention permanente à la communauté pour une assistance 24/7. AirBnB a su également susciter une myriade de petites entreprises associées (conciergerie, ménage, gestion d’annonces, visites touristiques, …). AirBnB a ainsi su mettre en œuvre les 4 règles qui font le succès d’une plateforme : changer la manière de produire le service, changer la manière de consommer le service, valider et contrôler le service et avoir la capacité à passer à l’échelle n(avec de faibles coûts marginaux ). Mais c’est aussi une entreprise fortement capitalistique. Pour financer sa croissance, elle a mobilisé en une décennie 4,4 milliards de dollars auprès d’investisseurs : mais elle est aujourd’hui valorisée à 31 milliards de dollars. En comparaison, le groupe Accord, qui compte 4100 hôtels et 240 000 collaborateurs, n’est valorisé qu’à 12 milliards d’euros : 570.000 chambres « en propre » contre 5 M de chambres pour AirBnB.
Tesla est une constructeur d’automobiles électriques haut de gamme. La société a été créée en 2003, et a produit son premier véhicule en 2008. En février 2018, la société produit 300.000 véhicules. Tesla est une société fondée et dirigée par Elon Musk, manager génial et malaisé . Elon Musk a des visions de très long terme et ses projets d’entreprise sont subordonnés à celles-ci : SpaceX a pour vocation de coloniser la planète mars, tandis que Tesla est fondée sur la puissance transformante de l’énergie électrique. Les véhicules Tesla bénéficient en fait de deux particularités : des batteries plates et à haute performance disposées sur le plancher de la voiture, ce qui permet de s’abstenir d’énormément de problèmes liés aux moteurs à carburant ; mais aussi une assistance informatique permanente (le mythe de la voiture sans chauffeur) mais qui permet à un véhicule de vor sa valeur augmenter avec le temps : en effet, il bénéficie de mises à jour à distance de son logiciel et voit donc ses capacités se développer. Tesla est valorisée 11,5 milliards de dollars : mais la société a levé 4 G$ entre 2013 et 2017, puis à nouveau 1,2 G$ en 2017. A titre de comparaison, Renault est valorisée 21,5 G€ et a produit en 2016 3,2 M de véhicules, soit dix fois plus que Tesla. Tesla a bénéficié de plusieurs facteurs : une approche extrêmement innovante de la dynamique industrielle des voitures, ce qui a bousculé les acteurs les plus établis du secteur ; une organisation du travail extrêmement mobilisatrice (on entre chez Tesla comme on entre en religion), et une personnalité hors pair du dirigeant, extrêmement exigeant avec ses proches tout en étant un communicant exceptionnel.
Uber est une société qui met en contact des offreurs et des demandeurs de transport. Cette société est probablement la plus emblématique de la transformation digitale puisqu’elle a donné naissance au verbe « ubériser ». En effet, l’arrivée d’Uber a mis à mal les écosystèmes de taxis dans toutes les villes du monde. Cette arrivée a provoqué un changement brusque de systèmes économiques existants, grâce à de l’innovation qui permet d’offrir soit des nouveaux services, soit une nouvelle façon de produire et échanger ces services. Uber est une plateforme d’intermédiation, comme AirBnB, mais alors que cette dernière fonctionne surtout sur un site Internet, Uber utilise d’abord les ordiphones de ses clients : Uber bénéficie ainsi de la géolocalisation permanente de ces outils pour organiser la rencontre de l’offre et de la demande. Uber a été fondée en 2009 à San Francisco. En 2017, elle est valorisée à près de 68 G$, pour un CA de 6,5 G$.
O. Kempf
Cet article Carnet (31.08.2018). Fedef (rapport, calendrier). Délégations UE (rotation 2019). EUTM Mali (Autriche). Sanctions (Al Qaida). RD Congo (élections). Myanmar (poursuites). Bosnie-Herzégovine (réformes, presse). Royaume-Uni, Allemagne (Afrique). Kosovo (visas). Macédoine (Dimitrov). Commission (séminaire). People (Quai d’Orsay, Sipri, Gican) est apparu en premier sur Bruxelles2.
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C'est une remarquable exposition qu'a organisé le Musée Guimet et qu'il faut se dépêcher d'aller voir, puisqu'elle se termine le 10 septembre...
Le monde vu d'Asie traite donc de la question des représentations du monde. Le terme "Asie" reprend la façon dont nous nous représentons, nous Européens, l'Asie, c'est-à-dire en omettant allègrement l'Asie Occidentale. Cela commence donc en Afghanistan, avec peut-être quelques allusions à la cartographie arabo-musulmane, mais guère plus. L'essentiel se concentre en Chine (et Taïwan), Japon, Corée, un peu la péninsule indochinoise ou l'Inde, accessoirement l'Asie centrale.
Mais nous n'allons pas mettre en miroir nos "représentations réciproques" : cela permet toutefois de montrer que la notion de "représentations" ne se réduit pas à l'appareil cartographique, même si évidemment, là est l'essentiel. D'ailleurs, le sous-titre de l'exposition (du moins du catalogue) se dénomme : "une histoire cartographique".
Car à l'origine, le "monde" en Asie s'articule, comme dans toute pensée traditionnelle, entre la terre et le ciel, entre le microcosme et le macrocosme, dans l'interaction entre le pays des hommes et le pays des cieux. La "géographie" est donc religieuse et sacrée, elle est d'abord empreinte de symboles. Il ne s'agit donc pas de dresser des territoires, mais des indications spirituelles où des éléments physiques (tel mont, tel rivage, tel fleuve) reçoivent des significations religieuses.
Viennent ensuite des représentations graphiques des paysages : une première façon de décrire la géographie et la morphologie. Viennent ensuite des plans de villes et de place-fortes.
Mais au fond, je n'ai pas perçu réellement de cartographie, au sens où nous l'entendons, d'origine purement asiatique. Dresser l'état des lieux du monde importe peu : seul comptent les territoires du souverain, ici empereur chinois en visite de ses possessions, là de tel roi ou prince... Le "reste du monde" (cette incroyable invention américaine qui reproduit, finalement, le splendide isolement des empereurs chinois, méprisant tout ce qui n'est pas eux comme étant des barbares), n'existe pas : pourquoi le cartographier ?
Tout change, apparemment, avec l'arrivée des jésuites et de Matteo Ricci : de cette rencontrent naissent deux choses : la perception du monde, mais aussi le recentrage du monde. Ainsi, la remarquable carte sino-centrée datant du XVII° siècle en est-elle emblématique : la Chine demeure "au milieu du monde" (c'est comme cela qu'elle se pense, empire "du milieu") et en même temps, elle reconnait qu'elle n'est qu'une partie du monde.
La question des proportions est ici passionnantes : dans les premières cartes d'origine asiatique, datant de plusieurs cercles auparavant la venue de Matteo RIci, la représentation de la Chine est assez fidèle à la réalité (au moins autant fidèle que nos cartes similaires de l'époque représentant l'Europe), mais les contours (Inde, Russie, îles du Pacifique, Afrique, Europe) sont écrasés à la portion congrue, aplatis, comme les cartes anamorphiques qui sont aujourd’hui courantes.
Le choc du monde entraîne de nouvelles représentations cartographiques, de nouvelles influences, mais aussi un regard sur le monde avec les décalages entre la façon dont les Asiatiques s'imaginent Paris, Londres ou New-York et la réalité que nous connaissons bien mieux, évidemment : à cet égard, les dernières salles sont assez jubilatoires car nous comprenons que nos représentations de l'Asie doivent être aussi décalées que celles qu'ils avaient de nous.
Pour le reste, cette plongée dans un univers culturel asiatique est absolument passionnante, avec une grande richesse de formes et de références qui sont un bonheur pour les yeux.
Le visiteur achètera le catalogue, indispensable pour tout amateur de cartes, rédigé par Pierre Singaravélou et Fabrice Argounès, auteur d'une "Théorie de la puissance" dont j'ai rendu compte sur La Vigie (ici).
A voir, donc, très vite.
Le monde vu d'Asie, musée Guimet, informations
O. Kempf
(B2 à Vienne) L’opération de lutte contre les trafics en Méditerranée, mise en place en juin 2015, n’a plus tellement la cote à Rome. Et Paris n’est pas prêt à mourir pour la sauver. Survivra-t-elle à l’hiver ? Les ministres de la Défense, doivent en discuter lors de leur réunion informelle à Vienne aujourd’hui
(crédit : marine portugaise)
Le gouvernement italien a coincé la review de l’opération EUNAVFOR Med / Sophia en introduisant une condition : l’Italie n’acceptera plus de façon automatique d’accueillir des migrants et réfugiés recueillis par les navires européens. Elle milite pour mettre en place un dispositif de coordination et de répartition des personnes secourues en mer.
Une condition de l’existence de l’opération
En retirant cette autorisation, le gouvernement de Rome sait fortement qu’il met en péril l’opération. La prise en charge par l’Italie des personnes (migrants ou demandeurs d’asile) secourues en mer à l’occasion des patrouilles était une condition précise posée par plusieurs pays européens dès le début de l’opération Sophia (EUNAVFOR Med) au printemps 2015, pour fournir des moyens navals de l’opération. Aucun pays ne voulait, en fait, se retrouver obligé de devoir accueillir des personnes qu’il aurait recueilli à bord. Le Royaume-Uni notamment en avait fait une condition sine qua non expresse, la France et l’Allemagne également.
La génération de force future compliquée
Rome sait fort bien qu’il va compliquer les futures générations de force. Mais il semble n’en avoir cure. L’affaire du Diciotti est, à cet égard, très parlante. Au-delà du message intérieur, le ministre de l’Intérieur italien Matteo Salvini a voulu envoyer un message à ses alliés européens : même pour nos propres navires, il n’y aura plus d’accueil automatique. Inutile donc de chercher une issue similaire dans les autres dossiers.
Une opération mal aimée par le gouvernement
Ce n’est plus un secret pour personne. L’opération Sophia n’a plus vraiment la cote en Italie. Même si le ministre italien des Affaires étrangères, Enzo Moavero Milanesi, s’en défend : « l’Italie reconnaît la contribution fondamentale de la mission « Sophia » à la lutte contre la traite des êtres humains et est disponible pour une éventuelle extension de ses tâches », affirme-t-il dans un message envoyé à la veille des réunions informelles de Vienne des ministres de la Défense et des Affaires étrangères. Elle cumule aux yeux du nouveau gouvernement italien certains vices de conception. Son principal tort est d’avoir été voulue par le gouvernement précédent et mise en œuvre par la Haute représentante de l’UE (tous du parti démocrate, l’ennemi juré du mouvement 5 étoiles). Mais ce n’est pas le seul : cette opération a été conçue à un moment, en 2015, où le sauvetage des vies en mer (après plusieurs naufrages) était conçu comme l’affichage d’une valeur européenne. Même si l’objectif formel de Sophia n’est pas le secours en mer, c’est une partie de la raison d’être de celle-ci. Et plusieurs pays (Allemagne, Irlande notamment) ne communiquent sur cette opération qu’à travers cet élément. Il faut être clair : cette opération n’aurait sans doute pas vu le jour sans cet aspect.
Si Rome veut tuer l’opération, la France ne la défendra pas
Dans une note diplomatique interne, révélée par l’Express, la ministre chargée de l’Europe, Nathalie Loiseau, estime que l’opération Sophia, est une « mauvaise réponse à de vrais défis ». Elle constitue surtout un « outil efficace de sauvetage des vies humaines de migrants en perdition ». Une raison qui justifie que Matteo Salvini voit aujourd’hui Sophia « avec méfiance », explique-t-on au Quai d’Orsay. « Nous devons lui laisser supporter le coût moral d’un arrêt éventuel de l’opération (créée à la demande de l’Italie) » en résistant à l’envie de sauver « à tout prix » un instrument qui n’est pas adapté. Pour Paris, le travail contre les passeurs est insuffisant, l’idée serait plutôt de mettre en place une « conférence internationale sur la lutte contre le trafic d’êtres humains ».
(Nicolas Gros-Verheyde)
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